Au nom de la laïcité, on dit tout et n’importe quoi !

Publié par le 21 Jan, 2018 dans Blog | 0 commentaire

Au nom de la laïcité, on dit tout et n’importe quoi !

La laïcité est devenu un thème controversé !

Et bien souvent, les intervenants se réfèrent à la loi de 1905 de séparation de l’Eglise et de l’Etat.

Certains en profitent pour tenter d’éradiquer tous les signes de la religion catholique encore présents dans l’espace publique. D’autres s’appuient sur la loi pour combattre le communautarisme et la progression de l’islam en France.

Dans les deux camps, les arrière-pensées et la mauvaise foi sont bien souvent présentes …

Je relaye ce matin un article de fond de Jacques Sapir paru sur le site Les-Crises.fr, un article qui remet les pendules (laïques) à l’heure et fait la part des choses entre la loi de 1905 et la laïcité :

La loi de 1905 n’est pas « la laïcité »

C’est une confusion qui est souvent faite. Bien des gens, et même des ministres (qui sont sensés connaître la nature d’une législation) confondent le principe et la loi. Toute loi est l’application d’un (ou de plusieurs) principes dans des contextes particuliers et elle contient des commandement (ce qui est interdit et ce qui est autorisé) qui peuvent varier. Si l’on peut dire que la laïcité inspire la loi de 1905, cette dernière ne l’incarne nullement. D’ailleurs, le texte de la loi ne fait nullement mention du principe. En réalité, la loi de 1905[7], que fit voter Aristide Briand, met fin au Concordat et organise et codifie les règles de séparation entre l’église et l’Etat. Elle ne fait pas autre chose. C’était d’ailleurs, après les troubles du processus politique de « séparation », une loi de paix et de concorde civile.

Cette loi est donc utile, et doit être conservée. Mais, elle est aujourd’hui insuffisante, compte tenu des menaces qui pèsent sur l’application du principe de laïcité. Ceux qui disent « toute la loi de 1905, rien que la loi » se trompent, et ils se trompent par la confusion entre le principe mis en œuvre et les conditions de son application.

La loi de 1905 n’est pas « anti-islam »

Jacques Sapir

Un petit nombre de musulmans (que l’on peut qualifier d’islamistes ce qui en fait une catégorie séparée du reste des musulmans) prétend que la loi de 1905 viserait l’Islam et uniquement celui-ci. Or, au début du XXème siècle, la question de l’Islam était mineure dans la politique française. C’est donc très clairement un anachronisme. Rappelons que ce furent les congrégations catholiques qui furent visées, et que la loi de 1905 n’interdit nullement la construction de la grande mosquée de Paris (dans les années 1920). Mais, il est clair que les religions chrétiennes et juives se sont accommodées de cette loi. Si les islamistes disent aujourd’hui que celle-ci est « anti-Islam », et s’ils construisent un conflit particulier autour de cette loi de 1905, c’est bien parce qu’ils sont sur une position de rupture par rapport à tout ce qui évoque la laïcité, même de loin. Et cela montre que leur conception de l’Islam est clairement incompatible avec la culture politique française[8].

La laïcité n’est pas la liberté de conscience

Un certain nombre de responsables politiques ont prétendu que la liberté de conscience et la laïcité étaient la même chose. C’est faux, et c’est une dangereuse erreur. La première fois où l’on parle de « liberté de conscience » en France c’est au cours des guerres de religion[9]. Il n’est alors nullement question de « laïcité ». La liberté de conscience signifie simplement que chaque individu est libre de penser ce qu’il veut, ce qui constitue naturellement un progrès, mais reste en deçà de la notion de laïcité.

La laïcité n’est pas non plus la tolérance, même si elle s’inspire d’un principe de tolérance[10]. La tolérance peut-être plus directement rattachée aux valeurs individuelles qu’il est bon de cultiver.

Jean Bodin

Si la laïcité n’est ni la liberté de conscience, ni la tolérance, c’est qu’elle est un principe d’organisation de l’espace public. C’est elle qui permet à un peuple traversé de croyances multiples de pouvoir se constituer en une communauté politique, et cela sans aucune relation avec l’ethnicité ou la langue. C’est la laïcité qui permet le passage du peuple à la Nation. Ce que dit et fait la laïcité c’est de renvoyer à la sphère privée (qu’il ne faut pas confondre avec la sphère individuelle) la question des croyances religieuses. Il n’est pas anodin que l’un des grand penseur de la souveraineté, Jean Bodin, qui écrivit au XVIème siècle dans l’horreur des guerres de religion, ait écrit un traité sur la laïcité[11]. En fait, on voit très vite apparaître le lien avec la souveraineté.

Cette dernière implique la définition d’un souverain. Une fois qu’il est établi que la « chose publique » ou la Res Publica est le fondement réel de ce souverain, comme nous y invite Jean Bodin, on doit définir le « peuple » qui exercera, soit directement soit par l’entremise de formes de délégation, cette souveraineté. Dès lors, obliger à nous définir selon des croyances religieuses, des signes d’appartenances, aboutit en réalité à briser le « peuple ». C’est la logique du communautarisme qui s’oppose de manière radicale à la notion de souveraineté du peuple. S’il existe un lien logique entre la démocratie et la souveraineté, de même existe-t-il un lien logique entre la souveraineté et la laïcité, car cette dernière, mettant hors de l’espace public la dispute entre religions permet de se réunir autour du Res Publica.

Athéisme, anticléricalisme et laïcité

La laïcité est présentée par ses ennemis comme une forme d’athéisme (le fait de ne pas croire en Dieu), voire comme une forme d’anticléricalisme (la détestation des églises). C’est une erreur profonde, et bien souvent en réalité un artifice conçu pour dénigrer et déconsidérer le principe politique de laïcité.

Il convient dès lors de rappeler que l’on peut être catholique ET laïque. D’ailleurs Jean Bodin, le père de la laïcité moderne, était lui-même un fervent catholique. John Locke, qui est aussi associé à l’émergence de la laïcité, était initialement calviniste avant de s’orienter vers le Socinisme[12]. Être athée n’implique nullement être anticlérical. Nombre d’anticléricaux célèbres, dont le « petit pères » Emile Combes, étaient en réalité déistes (Combes était un ancien séminariste[13]). La loi de 1905, qui ramena le calme après les troubles de 1903 et 1904, résulte non des efforts de Combes mais des travaux de la commission Buisson-Briand, Fernand Buisson étant un protestant et Aristide Briand un athée tolérant. La laïcité n’a donc rien à voir ni avec l’athéisme ni avec l’anticléricalisme. C’est un principe organisateur de l’espace politique, et c’est en cela que la laïcité est essentielle. Mais, ce principe politique, par contre, s’oppose radicalement aux interprétations littérales de toutes les religions et à la tentative d’instrumentaliser le sentiment religieux à des fins politiques.

Pour ceux qui voudraient approfondir le sujet, la suite de l’article est consultable ici.

Jacques Sapir pour LesCrises.fr

Notes

[1] Par exemple Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur : https://www.la-croix.com/Religion/Laicite/Laicite-Frederique-Vidal-ministre-lenseignement-superieur-corrige-propos-2018-01-08-1200904334?from_univers=lacroix
[2] Comparer ses déclaration durant la campagne présidentielle (http://www.lefigaro.fr/politique/2016/10/18/01002-20161018ARTFIG00411-macron-defend-sa-vision-de-la-laicite.php ) et après (https://www.lesechos.fr/politique-societe/emmanuel-macron-president/030985832498-macron-avance-a-pas-prudents-sur-la-laicite-2136575.php)
[3] https://tv-programme.com/journal-de-tf1_emission/replay/ecole-primaire-quand-la-laicite-recule_5a52c3c3b1b3f
[4] https://lentreprise.lexpress.fr/rh-management/droit-travail/loi-travail-nouvelles-querelles-autour-de-la-laicite_1814228.html ainsi que https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/tout-est-politique/tout-est-politique-emmanuel-macron-et-la-laicite-c-est-le-silence-et-lambiguite_2532485.html#xtor=CS2-765-
[5] Sapir J., Souveraineté, Démocratie, Laïcité, Paris, ed. Michalon, 2016.
[6] Voir, en particulier, http://russeurope.hypotheses.org/5207 et http://russeurope.hypotheses.org/5212
[7] Dont le texte se trouve ici : https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000508749
[8] http://avcparcours1combattant.over-blog.com/2018/01/chantal-delsol-le-probleme-religieux-vis-a-vis-de-la-laicite-est-specifique-aux-musulmans.html
[9] Voir, Weiss N., La Chambre ardente; étude sur la liberté de conscience en France sous François Ier et Henri II (1540-1550), Paris, Fischbacher, 1889 et L’édit de Baulieu (6 mai 1576) appelé aussi la Paix de Monsieur, en raison de l’influence du frère d’Henri III sur cette paix reconnaissant le culte protestant et en lui accordant de nombreuses garanties. Voir, http://elec.enc.sorbonne.fr/editsdepacification/edit_07#art_07_06
[10] Lecler J., Histoire de la tolérance au siècle de la Réforme, Paris, Albin Michel, 1994.
[11] Bodin J., Colloque entre sept sçavants qui sont de différents sentiments des secrets cachés des choses relevées, traduction anonyme du Colloquium Heptaplomeres de Jean Bodin, texte présenté et établi par François Berriot, avec la collaboration de K. Davies, J. Larmat et J. Roger, Genève, Droz, 1984, LXVIII-591.
[12] Waldron J., God, Locke and Equality, Londres, Cambridge University Press, 2002
[13] Merle G., Emile Combes, Paris, Fayard, 1995

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