Enraciné …

Publié par le 24 Juil, 2017 dans Blog | 0 commentaire

Enraciné …

Voici un très beau texte de Denis Tillinac paru la semaine dernière dans Valeurs actuelles.

Il y défend l’importance de l’enracinement dans les terroirs et les traditions. Dans son billet transparait tout son amour de la France éternelle.

Toutes ces notions qui irritent la bien-pensance et qui pour la gauche ne sont que des prétextes à stigmatiser, à exclure, à différentier …

Alors que dans sa conclusion, il indique que c’est en respectant nos vrais attaches, que nous serons capable d’admettre les autres avec leurs différences !

Nous ne sommes pas de nulle part, nous ne procédons pas de n’importe quoi, ce qui nous donne cette liberté de nous ébattre dans l’altérité sans nous noyer.

Denis Tillinac

Quand je vois apparaître le clocher de mon village, je me sens profondément, intimement français. De même, quand je relis les pages où Proust décrit les vitraux de l’église de Combray. Quand je me replonge dans Don Quichotte, Macbeth ou Werther, quand je me balade à Pérouse, à Heidelberg, à Coimbra ou à Winchester, je sens vibrer une fibre européenne. En revanche la ferveur de l’âme slave dans l’oeuvre de Dostoïevski me touche, mais de plus loin. C’est un autre univers.

Quand j’assiste à une messe dans un lieu de culte, fût-ce aux antipodes et selon un rite autochtone qui ne m’est pas familier, je me sens aussi catholique romain que dans la basilique Saint-Pierre. Quand je relis un Évangile, je me sens chrétien, citoyen par anticipation d’un outre-monde où Dieu m’attend peut-être. Ma latinité trouve ses marques voluptueuses à Bahia; elle s’enrhume dans les rues de Stockholm où s’affirme l’évidence que je ne suis pas luthérien.

La francophonie m’escorte au Sénégal, au Québec ou au Liban, je suis un peu chez moi. Beaucoup si je relis Senghor ou Nelligan. En effet, la confrérie des amoureux de la chose littéraire détermine une autre sorte de patrie : avec Tanizaki ou Mishima, je suis moins au Japon qu’au pays sans frontières de mes songeries.

Ainsi, dans ce village planétaire où désormais se normalisent les arts de vivre et les imaginaires, nos « identités » s’entrecroisent en une pluralité de cercles concentriques. Il va falloir faire le tri de l’essentiel et de l’accessoire car le coeur d’un mortel n’est pas un supermarché, il n’étreindra jamais le monde entier. L’amour abstrait de l’humanité, souvent barbouillé d’idéologies, ne mène à rien; en règle générale, il sert d’alibi à de mauvais époux, de mauvais amants, de mauvais parents, de mauvais voisins.

Je n’ai qu’une patrie: la France, un mix de sentiments hérités et de souvenirs tissé autour de ce village qui me tient lieu d’intégrale poétique. L’Europe est l’espace culturel où mon naturel d’écrivain déploie ses ailes, puis se pose ici ou là, le patrimoine est inépuisable. D’autant qu’il s’additionne d’une Amérique toujours mythifiée car les États-Unis sont une page blanche sur laquelle les imaginaires des cinq continents inscrivent leurs figures au fil des générations. Celle de Buffalo Bill, celles des westerns, celles des blues men. Pour moi, celles plutôt sudistes de Faulkner et d’Elvis.

Je dois évidemment ma part d’universalité à l’hellénisme, au judéo-christianisme et à la romanité. Athènes, Jérusalem, Rome. Pour le reste, c’est au gré des goûts et des couleurs. Les attraits de l’exotisme procurent des adjuvants savoureux. Mais pour que l’armature psychologique tienne la route, pour que nos âmes échappent à l’atomisation des affects, il faut discriminer les denrées mentales non périssables et les autres. J’ai aimé séjourner à Tahiti mais j’aurais pu m’en passer sans dommage, tandis que la baguenaude dans les « pays » de la doulce France décrits par Braudel, j’en ai besoin physiquement. Qu’ai-je cherché à Istanbul? Le Loti d’Aziyadé.  À Stellenbosch ? Les tombes des émigrés français de la malencontreuse révocation. À Pointe-à-Pitre ?« Les Antilles bleues fleuries de tabacs roses », un poème de Jammes.

En ce siècle ubérisé où le « transhumanisme » nous est promis a moyen terme par le grand capital et les chercheurs à sa solde, la quête identitaire sera de plus en plus obsédante. Chacun devra équiper son petit moi en évitant une double impasse: la rétraction tribale (race, confession, coutumes sacralisées) et la plongée sans masque dans les marais du cosmopolitisme. Question de discernement. Nous sommes d’ici et d’ailleurs, les pieds dans une glèbe déterminée, les yeux dans des étoiles innombrables.

Mais nous ne sommes pas de nulle part,
parce que nous ne procédons pas de n’importe quoi.

Plus nous prendrons conscience de nos vraies attaches, et les chérirons, et les cultiverons, plus nous serons libres de nous ébattre dans l’altérité sans risque de nous y noyer.

Denis Tillinac pour Valeurs actuelles.

Merci de tweeter cet article :





 

 

 

Répondre à pseudo49 Annuler la réponse.

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *