Le déni médiatique n’a pas dit son dernier mot !

Publié par le 13 Nov, 2018 dans Blog | 0 commentaire

Le déni médiatique n’a pas dit son dernier mot !

Avec le hashtag #pasdevague, une partie de la presse fait semblant de découvrir la condition du corps enseignant dans les territoires perdus de la République.

Mais au Monde, on mobilise toujours
la sociologie pour maquiller le réel.

L’effaçologie est un sport de combat.

C’était l’introduction d’une interview donnée par Alain Finkielkraut au magazine Causeur. En voici des extraits :

Causeur : Cher Alain Finkielkraut, avec le livre de Davet et Lhomme sur l’islamisation de la Seine-Saint-Denis, même Le Monde découvre la lune. Et après le hashtag #pasdevague, personne ne peut nier ce qui se passe à l’école. Bref, aujourd’hui, tout le monde peut dire ce qui vous a valu tant d’invectives.

Alain Finkielkraut : Disons qu’il était temps. Des professeurs font état de leur souffrance sur internet et une partie de la presse découvre ou fait semblant de découvrir une situation dénoncée depuis au moins deux décennies. Je rappelle que Les Territoires perdus de la République, le livre coordonné par Georges Bensoussan, est paru en 2002. Qu’en 2004, était publié le rapport Obin sur « l’école face à l’obscurantisme religieux ». On y lisait par exemple :

Tout laisse à penser que, dans certains quartiers, les élèves sont incités à se méfier de tout ce que les professeurs leur proposent, qui doit d’abord être un objet de suspicion, comme ce qu’ils trouvent à la cantine dans leur assiette ; et qu’ils sont engagés à trier les textes étudiés selon les mêmes catégories religieuses du hallal (autorisé) et du haram (interdit). »

Je pourrais aussi citer le livre d’Aymeric Patricot, Autoportrait du professeur en territoire difficile (2011), où il écrit ceci :

« Trente enfants qui ne craignent pas l’autorité parce qu’ils ne savent tout simplement pas ce que c’est. Trente enfants dont le plus grand plaisir est la provocation, l’agressivité, le chahut. Comment voulez-vous les tenir lorsqu’ils bavardent en chœur et refusent de répondre aux injonctions même discrètes autrement que par des formules aussi lapidaires que “lâche-moi” pour les plus distingués ? »

Iannis Roder décrivait la même situation dans Tableau noir, la défaite de l’école (2008), et Mara Goyet, dans Tombeau pour le collège (2008) et Collège brutal (2012), ne disait pas autre chose.

Causeur : D’accord, cela a pris du temps. Mais si on assiste enfin à la fin de ce déni qui a désespéré les gens autant que la situation elle-même, n’est-ce pas une bonne nouvelle ?

Alain Finkielkraut : On peut se réjouir en effet de voir le rideau se déchirer et le déni être contesté, mais j’observe aussi que le déni n’a pas dit son dernier mot. Au lendemain de la révélation du hashtag #pasdevague, Le Monde publiait un entretien avec un sociologue, Benjamin Moignard, qui nous expliquait que 1 % seulement des enseignants sont touchés par des agressions physiques, qu’il n’y a pas plus de violence aujourd’hui qu’hier et qu’une multiplicité d’enquêtes montre que punir à répétition est contre-productif et déclenche encore plus de violence. Et le lendemain, le même journal publiait une grande enquête sur les inégalités en Seine-Saint-Denis : « En Île-de-France, une école pauvre pour les quartiers pauvres ».

Autrement dit, si violence il y a, elle tient à la situation faite
par la République aux jeunes de banlieue et des cités difficiles.

Causeur : Vous n’espériez pas les voir renoncer à leurs poncifs en une semaine ?

Alain Finkielkraut : Donc, pour Le Monde, rien n’a changé et remarquez avec moi la différence de traitement entre #metoo et #pasdevague. Pour #metoo, on mobilise une task force de 15 journalistes, toutes les accusations sont prises au pied de la lettre. Pour #pasdevague, on enrôle un sociologue, car la sociologie n’est plus la science de la société, mais la science du déni de ce qui s’y passe, statistiques à l’appui. Et quand des chercheurs se risquent à sortir du déni, ils sont traînés dans la boue par leurs pairs. […]

Mais on peut être rassuré. Dans dix ans, Gérard Davet et Fabrice Lhomme réuniront de jeunes étudiants en journalisme, ils leur proposeront d’enquêter dans les quartiers sensibles, ils en sortiront un livre intitulé « L’école à feu et à sang » et on les verra faire une tournée des popotes triomphales sur toutes les chaînes d’information continue.[…]

Causeur : Ne croyez-vous pas cependant que le livre de Davet et Lhomme peut contribuer à changer la donne, dans le sens où il libérera la parole de gauche ?

Alain Finkielkraut : Il est possible que, grâce à ce livre, le climat médiatique commence à changer. Et je suis sensible au fait que les enquêtes dirigées par les deux briscards du Monde aient été réalisées par de jeunes journalistes. C’est une raison d’espérer : peut-être qu’une partie regimbe contre l’idéologie dans laquelle elle a été éduquée et se met à voir ce qu’elle voit.

Propos recueillis par Elisabeth Lévy.

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