Obésité et sclérose : les comorbidités de l’Etat

Publié par le 26 Avr, 2020 dans Blog | 0 commentaire

Obésité et sclérose : les comorbidités de l’Etat

Les premières victimes du coronavirus furent les personnes fragilisées par l’âge, l’obésité et les maladies chroniques telles que le diabète.

Et, collatéralement, nous assistons à la défaillance de l’Etat français, incapable, dans ces temps de crise, d’une agilité dont se sont pourtant montrés capables bien d’autres états comme la Corée du Sud ou, plus près de nous, l’Allemagne.

Oui, l’Etat français souffre de graves comorbidités qui l’empêche d’être efficace.

Je relaye ce matin un article de fond publié par la magazine Le Point qui analyse les raisons de ces blocages qui ont fait de la France un des pays parmi les moins performants dans la lutte contre le coronavirus.

Et pourtant la gauche clamait partout que la France avait le meilleur système de santé du monde ! Mais, soyez sûr qu’elle proposera bientôt d’engraisser encore un Etat déjà obèse.

La version intégrale de cet article très long car très documenté et très fouillé est consultable ici tandis que j’en propose une synthèse dans le présent article :

Les bureaucrates auront-ils notre peau ?

Le Covid-19 révèle les invraisemblables lourdeurs de notre administration.

Comment ce pachyderme va peser sur le déconfinement et la relance de l’économie.

Des machines à cracher de la norme !

Depuis que le virus s’est déclaré en France, et plus encore depuis que le pays s’est claquemuré dans un strict confinement, l’extraordinaire dévouement des personnels hospitaliers – mais aussi de leur base arrière de fonctionnaires, de travailleurs et d’élus qui assurent au quotidien le fonctionnement du pays –

se heurte à des lourdeurs et au mur des 400 000 normes produites au fil des ans par une administration obèse, qu’un essaim de cellules de crise mises en place dans l’urgence, au sommet de l’État, s’efforce de contourner.

À la tête du réseau de grandes villes France urbaine, le maire de Toulouse Jean-Luc Moudenc souligne ce paradoxe :

La bureaucratie est à la fois un stock formidable de compétences et un monstre de lourdeurs et d’habitudes qui gênent l’adaptation aux situations imprévues.

« Que voulez-vous que je vous dise ? Rien ne va. Il n’y a pas de pilote dans l’avion ! » Au téléphone, ce directeur général des services d’une métropole du Sud-Ouest semble au bout du rouleau.

Autant je suis admiratif de la capacité de l’État à produire en temps record des ordonnances relativement bien rédigées, autant il y a sur le terrain un manque d’opérationnalité incroyable. (…) Ces gens sont des machines à cracher de la norme !

À la cellule interministérielle de crise installée dans les sous-sols du ministère de l’Intérieur, comme dans celles du ministère de la Santé, de Bercy, des Transports, chaque conseiller mobilisé de l’aube jusque tard dans la nuit en a une conscience aiguë. « Tous les jours, on nettoie des normes », confie un responsable, enseveli quotidiennement sous les récriminations. Les ordonnances adoptées en urgence ont entraîné la publication de dizaines de décrets, suspendant ou allégeant le droit existant. Mais, sur le terrain, des blocages s’accumulent. Un problème juridique, par exemple, empêche les départements de fournir aux mairies la liste des bénéficiaires de l’allocation personnalisée d’autonomie, que touchent 700 000 personnes âgées dépendantes à domicile, auxquelles personnes ne peut donc tenter de venir en aide ! Une équipe de juristes y travaillent d’arrache-pied.

Sur le front économique, l’administration est « vraiment réactive », affirment au Point plusieurs interlocuteurs. Qui enchaînent aussitôt :

Le problème est plutôt sur le plan sanitaire. On gère la pénurie, mais la stratégie d’ensemble est illisible.

Nouvelle doctrine

« Il n’y a pas de stratégie ! Le gouvernement n’a aucune vision, il ne fait que s’adapter à la pénurie », tempête le député centriste Olivier Becht, affolé de voir arriver le 11 mai et la date supposée du déconfinement, sans aucune garantie. Son département du Haut-Rhin a été le premier frappé par la vague.

J’ai vu des fonctionnaires englués dans leurs habitudes, totalement tétanisés. Et le flou continue ! Combien de masques aurons-nous le 4 mai, puisqu’il va falloir les distribuer ? Pour qui ? Combien de tests ?

Lui-même a créé une société d’économie mixte, avec d’autres élus, le Crédit mutuel et la Banque des territoires, pour acheter 3 millions de tests sérologiques, qui devraient permettre d’identifier les personnes immunisées contre le virus.

Ils ne sont pas encore validés par les centres de référence, mais, si on attend qu’ils le soient, ce sera comme pour les masques : d’autres auront déjà tout raflé. Je ne comprends pas que l’État ne fasse pas la même chose.

Acheter du non valable, c’est un risque économique à 100 millions d’euros. Mais trois semaines de perdues et un confinement prolongé, c’est un coût de 100 milliards pour l’économie !

Si Taïwan, la Corée du Sud, Hongkong, le Japon, l’Allemagne ont très tôt adopté une stratégie assumée de dépistage massif, qui permet de détecter les cas, même asymptomatiques, de coronavirus et de les isoler, la France s’y est longtemps refusée, s’accrochant à sa stratégie de ne tester que les cas graves, les soignants et les populations fragiles. Une « folie » pour nombre d’acteurs de terrain.

Annoncée le 6 avril par le chef de l’État, la nouvelle doctrine consistant à généraliser les tests dans les Ehpad peine à se mettre en place : dans de nombreux départements, comme l’Indre-et-Loire, elle ne concerne que 10 % des établissements. « Le processus nécessite une organisation précise », justifie l’ARS du Centre-Val-de-Loire. Logistique, autorisations, fournitures des tests, la pénurie de réactifs et d’écouvillons pour les prélèvements rendrait tout élargissement difficile. « C’est invraisemblable », fulmine le président du Syndicat des biologistes, François Blanchecotte, qui s’est battu des semaines durant pour que soient élargies les capacités de tests du pays. Car, en la matière, la France aurait pu frapper beaucoup plus fort, et beaucoup plus vite, en mobilisant les laboratoires de génétique ou de recherche, ainsi que les 75 laboratoires publics départementaux vétérinaires, équipés de machines « ouvertes » performantes et ne dépendant pas, comme celles des hôpitaux, du seul réactif de leur fabricant. Dès le 15 mars, les acteurs de l’analyse vétérinaire informent le directeur général de la Santé, Jérôme Salomon, qu’ils sont capables de réaliser, sous un délai de quinze jours, entre 150 000 et 300 000 tests par semaine. Personne ne leur répond …

En France, depuis une loi de 2013, les laboratoires de biologie médicale vétérinaire n’ont pas le droit de toucher le moindre prélèvement issu d’un corps humain, et inversement. L’Académie de médecine a beau souligner publiquement l’absurdité de la chose, « les fabricants de tests diagnostiques à grande échelle accrédités pour les coronaviroses animales » offrant strictement les mêmes « garanties de sécurité sanitaire » que les autres, rien n’y fait. Le gouvernement ne lèvera les restrictions que le 5 avril. Entre-temps, d’importants stocks de réactifs disponibles seront vendus à l’Italie ou à l’Allemagne, qui n’ont jamais opposé biologies humaine et animale.

Par corporatisme, les biologistes en santé humaine ont bloqué jusqu’au bout

s’emporte un élu de Rhône-Alpes, contraint pendant des semaines d’envoyer ses tests à Paris faute de capacités dans son département. Et qui grince :

Mais, pendant qu’on perdait tout ce temps, les hôpitaux publics ont obtenu des fonds pour acheter leurs propres machines. Alors qu’un audit est en cours pour recenser les capacités de tests sur le territoire, on flambe l’argent public !

Jérôme Salomon, c’est un médecin de santé publique. La biologie, il s’en fout complètement,

tranche François Blanchecotte. Il a fallu attendre le 7 mars pour qu’un arrêté permette aux laboratoires privés de faire des prélèvements. Selon notre décompte, la France réalise en ce moment 250 000 tests par semaine. » Quand l’Allemagne en réalise déjà plus de 700 000 et prévoit d’atteindre fin avril 200 000 tests par jour ! « L’Allemagne a concentré ses laboratoires et travaille sur de grandes zones, avec de grosses machines moléculaires. La France a toujours considéré que c’était trop cher. On s’est privés de ces technologies d’avenir. Eux roulent en Rolls-Royce, nous, on reste en 2-CV. »

L’effarante guerre des masques

On a beaucoup parlé des masques dans la presse. Je vous invite à en retrouver les détails effarants dans la version intégrale de l’article.

Feu sur les ARS !

« On se retrouve comme en mai 1940 », peste Jean-Louis Thiériot, qui pointe la lourdeur d’un système de santé traversé de corporatismes et organisé en silos, dans lequel les directives envoyées depuis Paris se perdent et les responsabilités se diluent. « C’est une administration obèse avec des antennes départementales squelettiques », constate un cadre de département.

elles ont formidablement géré la crise, insiste le Dr Vincent Pestre, chef du service de médecine interne et d’infectiologie de l’hôpital d’Avignon. Dès la mi-février, tout était en alerte. Nous avons changé nos services, créé des lits de réanimation, formé les gens, fait des modifications architecturales, tout cela en un temps record ! On a fait en deux semaines ce qu’on n’arrive pas à faire en dix ans. Ils ont fait leur boulot en coordonnant tous les acteurs de terrain. C’est remarquable !

À l’extérieur pourtant, les relations avec les élus, voire avec les préfets, sont parfois exécrables :

Ces gens ont une vision purement sanitaire de la crise, avec un prisme unique : l’hôpital public. Les autres dimensions, sociales, économiques… leur échappent totalement. Ils ne comprennent pas que si je ne donne pas de masques aux types qui montent à trois dans un camion-poubelle, ils ne voudront plus y aller et qu’en trois jours ma ville ressemblera à Marseille en pleine Peste noire !

s’indigne un élu du Sud-Ouest, qui plaide pour que les préfets, plus opérationnels, reprennent la main. Car les aberrations s’accumulent. À Mulhouse, le préfet a dû intervenir pour convaincre l’agence d’inclure les cliniques privées dans la boucle.

Alors que notre CHU était saturé, elles avaient ouvert 150 lits Covid et des unités de réanimation, mais les fonctionnaires trouvaient que la gestion de crise, c’était une affaire publique, point !

Et cela engendre un gaspillage colossal d’argent public : 20 % des dépenses de santé en France, selon l’OCDE, seraient des dépenses inutiles. « Nous n’avons pas besoin de plus de moyens, mais de plus d’intelligence, plaide Frédéric Valletoux. Cette crise montre à quel point les Français considèrent leur système de santé comme un bien commun d’intérêt général. Il faut le préserver. » En osant, enfin, s’attaquer aux rentes :

« Personne n’a jamais eu le courage d’affronter le lobby des syndicats de médecins. Il n’est pas normal que la permanence des soins ne repose plus que sur l’hôpital public, alors que l’ensemble du système est financé par l’impôt. »

Le président du Conseil national d’évaluation des normes, l’ancien ministre du Budget Alain Lambert, caresse le rêve encore plus large d’un coup de balai historique :

Aujourd’hui, chacun découvre que le droit que nous produisons de manière forcenée menace la survie du pays. Des malades sont renvoyés en cours de transfert parce qu’on a oublié un papier… Est-ce qu’on mesure l’incongruité terrible d’un pays qui en est là ? Dans la vie administrative, ce qui n’est pas explicitement autorisé est interdit… Et des fonctionnaires hantés par la crainte d’être poursuivis s’interdisent de faire ce que l’intérêt général leur commande.

La bureaucratie a produit une société de défiance.

Géraldine Wœssner (avec Beatrice Parrino) pour Le Point.

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