C’est bien Carmen qu’on assassine !

Publié par le 30 Jan, 2018 dans Blog | 0 commentaire

C’est bien Carmen qu’on assassine !

La volonté de réécrire les oeuvres du passé pour les rendre conformes à l’esprit du temps est l’un des marqueurs les plus stupides du totalitarisme mou sous lequel nous vivons.

C’est ce que déclare Jacques Rougeot, professeur émérite de langue française à l’université Paris VI – La Sorbonne, dans un article paru dans Valeurs actuelles.

Il s’insurge contre la réécriture de la fin du célèbre opéra Carmen de Bizet et décrit les ravages du politiquement correct avec sa première victime : la liberté d’expression.

Il existe dans le champ culturel une force qui n’a pas d’identité officielle et dont l’action se fait pourtant sentir un peu partout. Ce n’est pas un organe de complot, car il n’a ni siège, ni dirigeants patentés, ni directives explicites. Les juges au service de cette force se sont autodésignés. Cette réalité fuyante a un nom: le tribunal de la bien-pensance (TBP). À ce titre, il prononce des sanctions, des condamnations qui poursuivent un objectif bien déterminé: imposer à ses justiciables, déclarés déviants, l’obligation de subir une opération de redressement idéologique. Son action s’exerce à tous les degrés sous les formes les plus inattendues. Partons d’un exemple choisi parmi bien d’autres.

L’actualité récente s’est intéressée à une affaire apparemment anecdotique et insignifiante. Dans un théâtre de Florence, Carmen, de Georges Bizet, a été représentée avec une fin qui contredit totalement le texte du livret. Au lieu, en effet, que ce soit l’héroïne qui meure, tuée par son amant délaissé, celle-ci retourne la situation et abat celui qui devait être son meurtrier. La femme reste maîtresse du terrain. Ce qui a fait réagir, c’est donc le dénouement falsifié de cette Carmen, qui est le produit de la mode idéologique qui fait fureur depuis quelque temps: le féminisme exacerbé, voire délirant. Le directeur du théâtre de Florence insiste sur cette relation de cause à effet: « À notre époque, marquée par le fléau des violences faites aux femmes, a-t-il déclaré, il est inconcevable qu’on applaudisse le meurtre de l’une d’elles. »

Jacques Rougeot

Pour aller à l’essentiel, la falsification de Carmen et autres pratiques du même genre sont en fait emblématiques. Elles reposent sur une pétition de principe implicite mais essentielle: les réalités du passé n’ont pas en elles-mêmes une existence intangible, sous une forme fixée une bonne fois pour toutes. Elles ne peuvent être prises en considération que si elles reçoivent la caution de certains de nos contemporains, mandatés par eux-mêmes pour exercer cette fonction au sein du TBP et disposant des pleins pouvoirs pour accueillir ou exclure ces réalités et pour leur donner une forme et une signification jugées « acceptables » aujourd’hui d’après des critères idéologiques.

La première conséquence, la plus évidente, est de couper nos contemporains d’une bonne partie de la littérature universelle, à commencer par des oeuvres comme l’Odyssée ou l’Énéide. Ulysse et Énée, ces machos, qui n’hésitent pas à abandonner leurs conquêtes féminines sous prétexte de suivre leur propre destin voulu par les dieux, ont des comportements qui seraient « inacceptables » et même « inconcevables » de nos jours. Ce rapport au passé est crucial. La connaissance du passé est une nourriture indispensable à l’esprit, en particulier à l’esprit critique. En priver une population ou la lui distribuer sous une forme dénaturée, c’est la priver d’une véritable liberté intérieure, c’est la dessécher intellectuellement et spirituellement, c’est la formater pour la faire entrer dans des cadres idéologiques grossièrement simplistes, c’est la préparer à subir sans résistance toutes les manipulations.

Cette volonté d’abolir ou de recomposer le passé s’attaque à toutes les périodes de l’histoire. C’est elle qui inspire, aux États-Unis, la campagne de déboulonnage de certaines statues, en particulier celles du général Lee, à travers laquelle on va s’efforcer d’envoyer dans le non-être ou dans l’enfer idéologique le camp sudiste de la guerre de Sécession. C’est cette même  volonté qui, en France, pousse certains à réclamer que le nom de Colbert soit rayé de tous les établissements placés sous son patronage.

Ce qui aggrave encore la situation, c’est que, quand on s’est arrogé le droit souverain de supprimer certains aspects du passé, on est tenté d’en faire autant avec le présent. La volonté affichée de M. Macron d’interdire de diffuser des fausses nouvelles (sottement appelées Fake news) en période électorale en est un exemple.

Même s’il est animé d’une bonne intention (ce qui reste à démontrer),
elle est de celles dont l’enfer est pavé.

Sa réalisation se heurte à au moins deux difficultés insurmontables: d’une part, il arrive souvent qu’on ne sache que très tardivement, et parfois même jamais, si une nouvelle est vraie ou fausse et, d’autre part, qui aura le pouvoir légitime de trancher, donc d’interdire de médias les nouvelles jugées fausses ? Ce serait inévitablement le règne de l’arbitraire et de la censure préalable au détriment de la liberté d’expression.

Si l’on considère les exemples cités plus haut, on voit qu’ils présentent certains points communs: omniprésence et pesanteur d’une idéologie simpliste; abolition sélective ou recomposition du passé; pouvoir souverain, confisqué par certains, de fixer et d’imposer la bien-pensance, de dire le bien et le mal, de permettre ou d’interdire; limitation de fait de la liberté d’expression; formatage des mentalités. On reconnaît là les principaux traits de l’esprit totalitaire, qui ne relève certes pas d’un totalitarisme violent à la Hitler ou à la Staline, mais un totalitarisme paré de bons sentiments, insinuant, rampant, anesthésiant et finalement abêtissant, car il impose une grille de lecture de la réalité grossièrement simpliste. Le totalitarisme, fût-il feutré, a partie liée avec la bêtise.

Illustration empruntée sur le blog : « Bibliothèque de combat »

Cet état d’esprit que nous avons essayé de caractériser relève pour l’essentiel d’une idéologie dont se réclame la gauche. À cet égard, la situation actuelle comporte un paradoxe. Depuis la mort du marxisme, la gauche est désespérément à la recherche d’une idéologie globale de substitution. À défaut d’en trouver une, elle se rabat sur des idéologies sectorielles négatives : antiracisme, lutte contre l’islamophobie et l’homophobie, regain de féminisme virulent. Alors que le dynamisme des idées est aujourd’hui orienté à droite, la gauche n’a plus de message à opposer sur ce terrain. En revanche, elle détient encore de nombreuses places fortes, particulièrement dans les médias, qui lui permettent de contrôler des moyens de diffuser ses idées et, pratiquement, d’étouffer les idées des autres en édictant toutes sortes d’interdits de nature idéologique.

Jacques Rougeot pour Valeurs actuelles.

A lire en complément cet article du blog « Bibliothèque de combat » : « Le politiquement correct : une idéologie diabolique« .

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