Daesch : voyage au bout de la nuit

Publié par le 16 Juin, 2017 dans Blog | 0 commentaire

Daesch : voyage au bout de la nuit

Le Figaro Premium publie un reportage terrifiant réalisé à Mossoul et qui dénonce les exactions de l’Etat islamique notamment sur les captives yazidies. Tous nos dirigeants de gauche – et certains de droite – qui répugnent à seulement nommer le terrorisme islamique, devraient lire ces témoignages …

Je vous propose l’édito d’Arnaud de La Grange qui présente le reportage qui sera suivi de quelques extraits.

L’édito

Le journaliste serait un historien au jour le jour, si l’on suit Camus, un chroniqueur de l’instant. Il travaille dans le siècle, assurément, règle son pas sur sa marche chaotique. Avant tout, il doit aller voir. Au plus près, même dans les plus sombres recoins du monde et de l’âme humaine. À l’heure où les islamistes veulent tirer un rideau noir sur leur ordre barbare, cette nécessité se fait encore plus forte. L’envoyé spécial du Figaro est allé voir, à Mossoul, au Kurdistan, aux portes de l’horreur. Un reportage essentiel, un voyage au bout de la nuit djihadiste.

Après avoir lu ces effrayants témoignages, personne ne pourra dire qu’il ne savait pas. Qu’il ignorait la démence totalitaire de l’idéologie islamiste. Personne, même pas ceux si vite enclins à relativiser, à voir dans l’aventure djihadiste une rébellion presque normale contre un Occident coupable. C’est une insulte aux esclaves yazidies, une injure aux martyrs chrétiens, une faute morale face aux femmes violées et aux enfants profanés.

Non, le «califat» n’est pas une aventure politico-militaire ordinaire. C’est une machine à broyer des femmes et des hommes, à anéantir les plus élémentaires valeurs d’humanité. Certes, les conflits ont toujours libéré les bas instincts. Les milices souvent offrent le pire visage de l’homme, quand les lâches abusent du pouvoir de leurs armes. Mais, sous Daech, les choses sont différentes. L’horreur est théorisée, prêchée, organisée. Et exportée.

Car gardons-nous de croire ce mal absolu circonscrit aux terres du Levant. Mossoul et Raqqa ont été les incubateurs de l’islamisme institutionnalisé. Mais le poison court plus loin. De manière plus sournoise, dégradée, mais aussi dangereuse. Il distille la négation de l’Autre, de tout ce qui n’est pas soi, la haine des minorités, l’avilissement de la femme, le mépris de l’innocence enfantine. Le refus de la liberté.

Voilà pourquoi il faut lire ces lignes, même si elles sont dures et glaçantes. C’est un récit pour l’Histoire mais aussi pour l’avenir de nos sociétés libres.

Extraits du reportage à Mossoul :

Libérées des griffes de l’EI, d’anciennes captives yazidies racontent la folie psychopathe des djihadistes. D’autres restent prisonnières de l’enfer de Daech à Mossoul. Reportage.

En août 2014, persécutés par les djihadistes de l’EI, les membres de la minorité yazidie, essentiellement des femmes et des enfants, avaient dû fuir la région de Sinjar dans le nord-ouest de l’Irak, à la frontière avec la Syrie. – Crédits photo : Rodi Said/REUTERS

La tragédie des yazidis est sans fin. Alors que des esclaves de Daech sont encore prisonnières dans l’enfer de Mossoul, des fillettes de moins de 10 ans violées durant leur captivité et les enfants-soldats embrigadés dans les Lionceaux du califat éprouvent les pires difficultés à se remettre de leurs traumatismes. Libérés contre des rançons ou évadés, ils se morfondent dans des camps de déplacés au Kurdistan irakien. Nous les avons rencontrés dans le camp de Darkar, près de la frontière turque et syrienne, dans la clinique d’EliseCare, une ONG française qui leur vient en aide.

Nassan, mon fils «lionceau du califat», mon «héros»

Nassan avait 14 ans quand il a été enlevé par Daech en août 2014 avec sa mère Gulay, 34 ans à l’époque, ses deux sœurs cadettes et ses trois petits frères.  Nassan avait le choix entre mourir en se révoltant ou se soumettre en trahissant les siens pour finir en chair à canon. Il a emprunté une voie étroite pour devenir, à sa manière, le héros de son clan.

Retenu dans une prison sans barreau dont il ne pouvait s’échapper, le jeune homme «appartenait» à un djihadiste irakien de Mossoul. Un maître presque ordinaire convaincu que les yazidis, ce peuple croyant en un Dieu unique et pratiquant des rites millénaires revisités par les religions du Livre, sont des adorateurs du diable. Une fable colportée par l’islam dans une région où naître dans une minorité est un fardeau que l’on portera toute sa vie.

Marginaux parmi les marginaux, les yazidis subissent des massacres depuis des siècles. Pour les Arabes sunnites de Daech et leurs recrues accourues des quatre coins du monde afin de combattre à leurs côtés en Irak et en Syrie, ils sont la lie de l’humanité. Ces mécréants doivent être convertis de force ou détruits. Venus de Mossoul, leur «capitale», les combattants au drapeau noir de l’État islamique (EI) déferlent en août 2014 dans la plaine de Ninive et dans le désert de Sinjar pour les rayer de la carte. Les hommes sont abattus, les femmes et les enfants kidnappés. Une hécatombe qualifiée de «génocide» par les Nations unies. Des centaines de milliers de fuyards trouvent refuge sur les pentes du mont Sinjar, où selon les légendes locales, Noé échoua son arche. Ils sont sauvés grâce à l’intervention des nationalistes kurdes du PKK accourus de Syrie et de Turquie et de l’aviation américaine.

Nadia Murad, une yazidie victime d’esclavage sexuel en 2014 et devenue ambassadrice de bonne volonté de l’ONU, en compagnie de pechmergas lors d’une visite à Sinjar en juin. – Crédits photo : ALKIS KONSTANTINIDIS/REUTERS

Nassan rejoint la fabrique des enfants-soldats de Daech

Nassan n’a pas eu cette chance. Prisonnier à Mossoul, il est déporté avec sa famille en Syrie au bout de six mois. Son maître s’est lassé de violer sa mère. Il vend sa proie avec sa progéniture à un marchand d’esclaves qui affrète quatre bus de marchandise humaine. Direction Raqqa, le fief de l’EI situé de l’autre côté d’une frontière effacée par un califat alors en pleine expansion. Là, Nassan est séparé de ses proches. Il fait ses adieux à sa mère cédée à un nouveau propriétaire et rejoint les «Lionceaux du califat», la fabrique des enfants-soldats de Daech réservée aux moins de 16 ans. Une école à laver les cerveaux, à inculquer les bases doctrinaires de l’organisation et à dresser des chiens de guerre.

Le viol des fillettes de Koda, la femme en noir

Koda a 30 ans et en parait 60. Elle est flanquée de Galia, 7 ans, et Marwa, 6 ans, silencieuses et prostrées. Les deux fillettes ont été violées encore et encore par des psychopathes de Daech durant des mois et des mois. Koda ne s’en cache pas. Elle n’a plus d’honneur à défendre. « On a vécu le pire du pire avec mes deux maîtres, un Saoudien et un Tunisien. Ils abusaient des petites et les frappaient avec une canne quand elles faisaient du bruit comme tous les enfants de leur âge. Je pensais à me suicider mais je ne pouvais pas les abandonner. À Raqqa, nous étions nombreuses dans le même cas », témoigne-t-elle. Koda a été vendue par son maître de Mossoul pour quelques centaines de dollars.

Elle a été revendue six fois en Syrie passant de main en main. Un djihadiste en mal d’argent a publié sa photo sur Whatsapp avec le montant de la rançon fixée à 23.000 dollars, enfants compris, une pratique courante. Son beau-frère a réuni la somme et l’a rachetée voici dix-sept mois. Depuis, elle erre dans le camp de Darkar Ajam, vêtue de noir de la tête aux pieds. « C’est la couleur de la tristesse et de l’intérieur de mon cœur » dit-elle. « Je ne possède qu’une carte de rationnement. Je n’ai rien et je ne suis rien. J’ai juste mon malheur. Mon mari a disparu avec le reste de ma famille en fuyant Daech voici bientôt trois ans. Je n’ai pas de présent, ni d’avenir. Juste trois filles brisées ».

Le sourire de Parwin

Parwin, 23 ans, a connu deux délivrances. La première en septembre dernier quand Mohammed, un Mossouliote bienveillant, l’a subtilisée à l’émir Hamza, un cadre de Daech. La seconde à la fin de l’année lorsque la partie orientale de Mossoul a été libérée par l’armée irakienne. Le 30 décembre dernier, Parwin a pris sa fille Suriana, âgée de 3 ans, dans les bras et a traversé la ville défigurée par les bombardements et les combats. Elle a marché des heures sous la pluie jusqu’à un lieu de rendez-vous où l’attendait un cheikh arabe qui l’a conduite à Bartalla, la cité chrétienne contrôlée par les Unités de protection de Ninive (NPU), une milice assyrienne.

D’une beauté remarquable, Parwin devait être considérée comme une prise de choix par les prédateurs de Daech. Vendue et revendue, passant d’un émir à l’autre, elle a connu onze maîtres. « Il n’y en avait pas un pour rattraper l’autre. Ils étaient tous ignobles et plus ou moins violents. J’ai été enchaînée, violée, tabassée, ma fille était battue », dit-elle. Ceux qui auraient pu montrer des sentiments cachaient leur humanité par lâcheté. Elle se souvient de Khaled, une brute épaisse qui s’est emparé d’elle après son enlèvement. C’était un yazidi converti secrètement à l’islam avant l’arrivée de l’État islamique. Il est mort au combat au bout d’un an. Elle se souvient surtout de son dernier mari, l’émir Hamza, un caïd. À Mossoul, il l’offrait comme cadeau à ses hôtes.

Avant de s’évader, Houda, 20 ans, ici avec son neveu de 8 mois, a passé plus de 40 jours aux mains des miliciens de l’État islamique. – Crédits photo : Emilien URBANO

Le regard fou de la petite Asma

Ex-prisonnière, Nadira, 42 ans, a gardé les moutons de Daech dans un petit village chiite près de Tall Afar, un bastion de l’EI proche de la frontière syrienne. Elle a participé avec sa progéniture à une évasion de masse en avril 2015. Le groupe d’une quarantaine de personnes est parvenu à s’extraire de la nasse. Nadira avait coupé les cheveux de sa fille Asma, 8 ans à l’époque, et l’avait déguisée en garçon pour qu’elle échappe à un viol immédiat en cas de capture. Deux ans plus tard, la fillette ne se remet pas des horreurs qu’elle a endurées. Asma a le regard inquiet des bêtes traquées. Ses yeux tournent comme des billes dans leurs orbites ou fixent un point invisible. Elle est mutique. « Elle ne veut pas parler. Elle s’installe souvent dans un coin et pleure en silence mais la nuit c’est la folie », commente la mère. Nadira se ronge les sangs pour deux de ses filles toujours aux mains de Daech. Elle est sans nouvelle de l’une, âgée de 15 ans à sa disparition. La seconde, Eyam, 20 ans, est retenue par un djihadiste du nom d’Abou Khatab dans le réduit de Mossoul-Ouest toujours sous le contrôle de Daech. Des centaines de femmes yazidies sont ainsi toujours séquestrées à Mossoul, à Raqqa et dans les zones encore sous le joug de l’organisation.

Nadira, Koda, Parwin et Gulay ne sont pas près de retrouver leurs villages du Sinjar. Le secteur est en grande partie libéré mais le fief djihadiste de Tall Afar, une ville stratégique sur la route entre Mossoul et la Syrie, n’est pas repris. L’instabilité est grande dans cette contrée du Nord de l’Irak, placée de par sa position géographique entre l’Irak, la Syrie et la Turquie au cœur d’un grand jeu entre puissances régionales. Les autorités du gouvernement fédéral du Kurdistan irakien et le pouvoir central de Bagdad se disputent le territoire. Les pechmergas kurdes irakiens se mesurent à leurs frères ennemis kurdes du PKK turco-syrien tandis que les milices chiites liées à l’Iran se sont installées dans les parages. Des yazidis ont formé des groupes paramilitaires. Certains ont rejoint le PKK qui les a tant aidés en 2014. Ce cocktail explosif a toutes les chances de retarder le retour des déplacés. Il pourrait surtout entraîner la communauté dans un conflit dont elle serait la première victime.

Thierry Oberlé pour le Figaro Premium

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