L’art de détourner et finalement de gâcher une belle idée

Publié par le 4 Juil, 2020 dans Blog | 0 commentaire

L’art de détourner et finalement de gâcher une belle idée

Nous sommes tous attachés à la démocratie …

Nous déplorons tous, avec Eric Zemmour, le remplacement de la démocratie par l’état de droit, avec la substitution du pouvoir des juges à celui du peuple.

En 2007, Ségolène Royal nous a un peu pris la tête avec sa démocratie participative, qui n’a pas séduit à l’époque.

Mais ponctuellement, l’idée de donner la parole au peuple pourrait s’avérer positive notamment pour lutter contre la fracture entre les Français et les élites qui se creusent sans cesse.

Si on voit bien l’intérêt de la consultation de la population sur le plan local sur des questions intéressant directement les habitants et qui sont sans impact sur le pays global, il est beaucoup plus dangereux d’appliquer cette démocratie participative au plan national.

Les résultats de la récente Convention Citoyenne pour le Climat va, pour longtemps, faire réfléchir le pouvoir politique avant de tenter une nouvelle expérience.

Dans un précédent article , Une convention pas citoyenne que ça, j’avais pointé les failles de cette convention (sélection biaisée des participants, direction par des personnalités partisanes, encadrement par des experts orientés).

Voici un article paru dans Le Figaro qui fait le point, à froid, sur cette convention. Ses auteurs ont appartenu au Conseil constitutionnel et pointent les failles de cette convention et surtout de son organisation :

La Convention citoyenne pour le climat
ou la fin des illusions sur « les vrais gens »

Qui doit exprimer la volonté générale dans la démocratie 2.0 ?

Tout le monde, semble-t-il, selon le commentaire dominant, sauf celui qui a été élu au suffrage universel à cette fin. L’élu, suspect d’indifférence, de connivence et d’improbité, est récusé au profit de l’expert, du juge, du militant et, désormais, du citoyen tiré au sort, apparu en majesté lors de la Convention citoyenne pour le climat.

Le citoyen tiré au sort représente la pureté démocratique originelle,

le retour à une virginité civique aujourd’hui souillée par les compromissions et les démissions des professionnels de la politique. Les citoyens tirés au sort sont les authentiques représentants du peuple souverain. Ils sont réputés plus avisés et plus désintéressés que ceux qui ont consacré leur existence à la chose publique, acquis l’expérience de la délibération collégiale, approfondi des dossiers ardus, connu la difficulté des arbitrages entre principes et intérêts conflictuels et accessoirement (pardonnez du peu) … gagné la confiance des électeurs.

Cent cinquante citoyens tirés au sort ne sont-ils pas représentatifs du  peuple tout entier et donc, s’ils sont convenablement instruits  des problèmes par des experts patients et neutres, les mieux à même de choisir les politiques publiques les plus conformes au Bien public ? C’est ce que nous entendons à longueur d’antenne. Tout est cependant contestable derrière ce présupposé du populisme chic, qui, depuis les « gilets jaunes », semble devenir une antienne médiatique.

En premier lieu, n’est pas représentatif un échantillon constitué par des personnes tirées au sort certes, mais tirées jusqu’à trouver les plus motivées par le sujet, puisqu’il n’est pas question de rendre obligatoire la participation au panel.

Ne restent en pareil cas, au fond du tamis, que les plus favorables aux thèses radicales et les plus grisés par la perspective de jouer un rôle politique national.

En outre, les experts ayant « éclairé » cette réflexion de citoyens motivés sont, pour la plupart, des personnalités elles-mêmes engagées, ce qui n’est pas honteux, mais qui biaise le résultat de délibérations présentées comme exemptes de préjugés et représentatives du « sentiment général des gens ».

Enfin, les connaissances qu’il est possible non seulement d’acquérir mais d’assimiler en un aussi bref laps de temps n’ont pas suffi à éviter les graves lacunes dont sont entachées les propositions de la convention :

– absence de toute référence au prix du carbone (alors qu’il s’agit là de la principale piste efficace pour réorienter l’économie capitaliste au service d’objectifs écologiques) ;

– sous estimation des capacités de la science et  de la créativité humaine pour résoudre les problèmes qui se posent (à cet égard, le silence sur l’avenir du nucléaire est révélateur) ;

– refus d’envisager les conséquences budgétaires, et donc fiscales, des mesures proposées (ce qui obligerait à établir un ordre des priorités, commencement de toute politique réaliste).

Il n’est donc pas étonnant d’aboutir, en définitive, à des mesures décroissantistes

(produire moins, travailler moins, consommer moins), contraignantes (obligation faite à tous les ménages d’isoler thermiquement le foyer, fermeture des lignes aériennes intérieures), échevelées (création d’un crime d’écocide) ou contradictoires, la démagogie (réduction du temps de travail sans perte de salaire) voulant sans doute atténuer l’impopularité de beaucoup des solutions préconisées, qui se rattachent sans surprise à l’écologie punitive (limitation de la vitesse sur les autoroutes).

Eu égard aux caractéristiques singulières de ses débats, on ne s’étonne pas non plus des majorités soviétiques qui ont conclu cette agora du troisième type. Ni du chantage exercé sur les pouvoirs publics : mes 150 mesures forment un bloc qu’il n’est pas question de filtrer. Tout doit être soumis, selon le cas, au pouvoir législatif et au pouvoir réglementaire. Simples courroies de transmission d’une volonté populaire supérieure, Parlement et gouvernement sont sommés de transformer cette volonté en lois et règlements. Le peuple est appelé à entériner les éléments les plus emblématiques des 150 propositions sous la forme d’un référendum de l’organisation duquel le chef de l’État devrait s’effacer au bénéfice d’une autorité ad hoc …

Et maintenant ?

L’exécutif est pris dans le dilemme dans lequel il s’est lui-même enfermé. Soit donner suite aux conclusions de la convention, au risque d’infliger une énième épreuve à la société au plus mauvais moment, c’est -à-dire à l’heure où l’urgence est de réparer le monde d’avant et non d’improviser un monde d’après. Soit opposer une fin de non-recevoir à l’utopie en suscitant une vive déception qu’exploiteront avec gourmandise les milieux, pour une fois solidaires, du populisme et de l’écologie radicale.

Dans le climat actuel, peu propice à l’émergence d’une intelligence collective – celle-ci suppose une compréhension équitablement répandue de la complexité du monde, un apaisement des passions et un esprit coopérati f- la frustration serait dévastatrice : pourquoi nous avoir demandé solennellement notre avis, pourquoi nous avoir dit que notre concours dessinerait les contours d’un nouveau pacte environnemental et social, si c’est finalement pour tenir aussi peu compte de nos propositions ? On dénoncerait une manipulation cynique.

Un « référendum » sous forme de questionnaire à choix multiples peut-il être envisagé ?

Ce serait un objet constitutionnellement non identifié, qui ne pourrait être regardé que comme une sorte de sondage en vraie grandeur commandité par les pouvoirs publics, mais ne pouvant lier ceux -ci. L’arbitraire présiderait à la sélection des questions comme à l’interprétation des réponses. Il faudrait une loi pour l’organiser. Que diable irait faire le chef de l’État dans cette galère ?

Reconnaissons au moins un mérite à la Convention citoyenne pour le climat : avoir fait la démonstration en vraie grandeur des impasses de la démocratie directe dans un monde aussi complexe et fragile que le nôtre.

Jean-Eric Schoettl* et Pierre Steinmetz** pour Le Figaro.

* Conseiller d’État honoraire.

** Ancien préfet. Ancien directeur de cabinet du premier ministre (2002-2003).

Pour illustrer le côté punitif des propositions de la Convention, voici deux exemples parmi les 149 propositions présentées :

A t-on une idée de l’économie d’émission de CO2 réalisée par cette proposition ? En fait, la justification de la mesure totalement inefficace est dans la dernière phrase :

… diminuer la fascination pour l’automobile !!!

Il faut arrêter de rendre désirable l’usage de ces engins !

Devrons-nous nous passer des démonstrations de la Patrouille de France ?

Oui bien sûr, il faut arrêter de rendre désirable l’usage de ces engins !

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