Mathieu Bock-Côté en lutte contre le politiquement correct

Publié par le 17 Juin, 2019 dans Blog | 0 commentaire

Mathieu Bock-Côté en lutte contre le politiquement correct

Il y a une semaine, je publiais avec jubilation un article sur le clash qui avait eu lieu entre Romain Goupil et le sociologue Mathieu Block-Côté :

Romain Goupil, l’idiot utile
de Mathieu Bock-Côté

C’est dans un environnement beaucoup plus convivial et de plus haut niveau intellectuel qu’a pu s’exprimer le sociologue dans les colonnes du Figaro Magazine :

« Le multiculturalisme n’est pas consubstantiel à la démocratie libérale »

Mathieu Bock-Côté vient de publier « L’Empire du politiquement correct » (Editions du Cerf). Il pose la question du modèle multiculturel dont le Canada s’est fait le porte-parole le plus militant. Il estime que la bien-pensance, au nom de la tolérance, impose un sens unique à l’Histoire, et qu’elle défend les petites différences contre les grandes identités. Le populisme se nourrit des nouveaux tabous du politiquement correct pour les subvertir.

On me reproche dans mon livre L’Empire du politiquement correct de noircir exagérément le tableau. On aurait pourtant tort de sous-estimer le phénomène qui produit des réactions politiques de rejet de plus en plus fortes, et explique aussi l’émergence d’un populisme. Pour bien comprendre le politiquement correct, il ne faut pas y voir simplement une  incitation à la pensée conforme dans le domaine médiatique, mais bien un principe de recomposition de l’espace public, selon la logique du progressisme obligatoire. Notre époque est celle de la révolution diversitaire. Elle s’accompagne du déploiement d’un dispositif inhibiteur qui censure et pousse à l’autocensure tous ceux qui s’y opposent d’une manière ou d’une autre. Il le fait essentiellement en pathologisant le désaccord, et plus exactement, en le psychiatrisant.

On le constate avec la multiplication inquiétante des « phobies » que croient diagnostiquer les analystes de la chose publique, avant de nous inviter à les combattre au nom de la bataille à mener pour la société ouverte contre la société fermée. Xénophobie, islamophobie, europhobie, transphobie : ces termes sont devenus des catégories d’analyse du langage médiatique ordinaire, sans qu’on prenne la peine de les définir, sans qu’on reconnaisse aussi qu’ils sont moins descriptifs que prescriptifs. Ils sont utilisés comme s’ils allaient de soi par la plupart des journalistes et commentateurs, qui ne se rendent pas compte, en les utilisant, qu’ils révèlent leur biais idéologique.

Car prenons un instant la peine de définir ces termes. On assimile de plus en plus à la xénophobie la simple critique de l’immigration massive et du multiculturalisme tout comme on assimile à l’islamophobie la critique de l’islam et de l’islamisme. Dans le même esprit, celui qui souhaite restaurer la souveraineté nationale sera accusé de basculer dans l’europhobie et celui qui remettra en question, même le plus poliment du monde, la théorie du genre sera accusée de transphobie.

Les idiots utiles du multiculturalisme

Dans les faits, on expulse du domaine de la respectabilité politico-médiatique ceux qui n’applaudissent pas au différentialisme militant. On le voit notamment avec l’usage de plus en plus tordu du concept de racisme dans la vie publique contemporaine. Le racisme est une chose odieuse, mais c’en est une aussi d’intégrer à ce concept des réalités ou des idées qui n’en relèvent pas. Ainsi, aujourd’hui, on assimile au racisme la position universaliste. Tout refus de compromis avec le multiculturalisme est transformé en racisme. Toute affirmation que certaines cultures ne peuvent pas spontanément cohabiter dans une même cité, parce que les points de friction entre elles sont plus nombreux que les points de rencontre, est d’emblée suspectée de xénophobie. L’usage immodéré de ces termes dans une immense entreprise de chasse au dérapage nous confirme à quel point l’espace public est de plus en plus contrôlé idéologiquement par les agents de la circulation médiatique.

Le propre de l’idéologie, c’est de se radicaliser au rythme où le réel la désavoue, et il est vrai que le réel avance très vite, si l’on en juge par la montée régulière des votes populistes. Plus l’idéologie multiculturelle pousse nos sociétés à la décomposition, plus l’immigration massive suscite des tensions, plus la déconstruction des cadres anthropologiques de la cité engendre des névroses identitaires, plus la propagande au service du régime diversitaire veut nous convaincre que nous jouissons d’un vivre-ensemble radieux. Le politiquement correct nous condamne à évoluer dans un univers dédoublé dont on ne sort qu’en devenant un infréquentable ou du moins, un personnage controversé.

Bien sûr, les campus américains sont un concentré remarquable de cette idéologie diversitaire. Mais l’erreur serait de les traiter sur le mode ricaneur. Les idées qui en surgissent, comme la sociologie racialiste, les safe spaces, les codes qui restreignent la liberté d’expression, ou cette nouvelle manie de désinviter les conférenciers jugés controversés par la gauche radicale, se normalisent très rapidement. Elles se banalisent dans le système médiatique, et en viennent à peser sur le débat public, à le reconfigurer dans une perspective diversitaire.

Le populisme n’est pas étranger à tout cela. Ce phénomène politique est bien mal compris, et conséquemment, bien mal décrit par le système médiatique, qui cherche à l’ extrême-droitiser à tout prix. D’ailleurs, il faudrait demander aux analystes d’en donner une définition sérieuse. Quand j’entends certains d’entre eux assimiler cette dissidence électorale à grande échelle à une déclaration d’hostilité à l’endroit de la démocratie libérale, je me pince.

A ce que j’en sais, le gouvernement des juges et le multiculturalisme
ne sont pas consubstantiels à la démocratie libérale.

A ce que j’en sais aussi, la souveraineté populaire ou l’identité nationale n’étaient pas historiquement étrangères à la démocratie libérale. Et la demande d’autorité n’est pas nécessairement une demande d’autoritarisme, mais une révolte contre le sentiment d’impuissance politique.

La demande d’identité ne relève pas des mécanismes de la xénophobie mais bien d’un désir d’enracinement, pour reconstituer des repères identitaires un tant soit peu consistants dans un monde qui se présente comme un flux insaisissable. Je n’embrasse pas le « populisme » mais je crois nécessaire de cesser d’en caricaturer les ressorts. Paradoxalement, la poussée populiste contribue à la radicalisation du politiquement correct, dans la mesure où les gardiens de la révolution diversitaire hystérisent le débat public quand ils ont l’impression d’en perdre la maîtrise. Le durcissement des partisans du politiquement correct engendre une révolte de ceux qui ne s’y reconnaissent pas, et c’est un élément essentiel de la poussée populiste, comme si les peuples, en se tournant vers les partis ostracisés par le système médiatique et ceux qui d’une manière ou d’une autre, actualisent le style tribunitien, se permettaient quelque chose comme une transgression jouissive à l’égard du politiquement correct. A tout le moins, c’est ce qui s’est passé aux Etats-Unis avec l’élection de Donald Trump, et c’est aussi ce qui se passe en Italie avec Matteo Salvini.

Les gardiens de la révolution du politiquement correct

 

En France, le politiquement correct est aussi protégé par les lois mém0rielles. Je confesse ce que je pourrais appeler mon libéralisme nord-américain. Je m’oppose à toutes les lois qui restreignent la liberté d’expression, tout comme je m’oppose à la volonté de plus en plus manifeste de contrôler la parole qui s’exprime sur le web – je ne pense évidemment pas en disant cela à ce qui relève de l’univers de la diffamation. Qu’on se comprenne bien : je suis dégoûté comme tout le monde par certains propos, par certaines théories, par certaines propositions hist0riques aussi condamnables que farfelues : mais je ne suis pas certain du tout que la meilleure manière de lutter contre la bêtise soit de l’interdire ou de la pénaliser d’autant que je trouve perverse la possibilité de transformer en martyrs de la liberté d’expression d’authentiques imbéciles.

La France et le Canada n’ont pas du tout le même rapport à l’espace public. La liberté d’expression est mieux garantie formellement au Canada et au Québec, même si l’on trouve aussi chez nous une tentation liberticide qui se cache de moins en moins. Cela dit, nous avons une culture du consensus très forte, qui pousse les partis, globalement, à se rapprocher du centre le plus possible, et à atténuer toute dynamique de polarisation. En gros, nous avons le droit de tout dire, mais nous ne disons rien. La France fonctionne à partir d’une tout autre mentalité. La liberté d’expression y est régulée à mon avis de manière tatillonne et exagérée, comme si les lobbies de différentes natures parvenaient peu à peu à codifier la parole publique en multipliant les interdits, mais la culture du débat y est si forte que les Français s’entêtent néanmoins à dire ce qu’ils veulent.

Est-ce à dire que les années qui viennent seront emportées par cette rivalité dangereuse entre la dictature du politiquement correct et la surenchère des populismes ? Un peuple a un instinct de survie. L’intelligentsia diversitaire a beau dire que le réel ne passera pas, partout il se fait sentir. Nous pouvons espérer que la novlangue qui dénature le langage au point de nous enfermer quelquefois dans un univers parallèle sera désertée. Mais nous n’en avons pas la certitude. De là l’importance d’un combat politique qui pose directement la question du régime diversitaire, et qui cherche à restaurer les conditions fondamentales de l’expérience démocratique en en restaurant le principe.

Mais il est bien possible que nous allions jusqu’au bout de la catastrophe et que les derniers défenseurs de notre civilisation soient obligés de se replier sur la stratégie de l’oasis. Je ne suis pas un professeur de pessimisme. Je ne veux pas croire à une civilisation occidentale une fois pour toutes désorientée par la déconstruction de ses fondements anthropologiques, enfoncée dans l’impuissance politique, étouffée par le politiquement correct, incapable de défendre ses frontières, où chaque peuple serait hanté par la peur de devenir étranger chez lui. Les besoins de l’âme humaine sont irrépressibles. Nous sommes témoins du retour des nations et des civilisations. La mondialisation heureuse a fait faillite et on peut espérer la reconstruction d’un ordre du monde qui fera moins violence au besoin d’enracinement.

Un monde qui reconnaîtrait leurs droits aux souverainetés nationales et qui se délivrerait du fantasme de son homogénéisation juridico-politique – qui s’affranchirait aussi de la figure du citoyen du monde, qui n’est finalement qu’un citoyen de nulle part. J’imagine même qu’une telle renaissance accouchera d’un pays de plus, dont le combat incarne concrètement celui de la diversité culturelle à l’échelle de la planète : je l’imagine avec un Québec indépendant.

Propos recueillis par Charles Jaigu pour Le Figaro Magazine.

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