Naufrage de l’Education nationale, vu de l’intérieur

Publié par le 22 Sep, 2017 dans Blog | 0 commentaire

Naufrage de l’Education nationale, vu de l’intérieur

Ce texte fait suite au précédent article extrait du dossier du Figaro Magazine et intitulé :

« Ecole : et si enfin ça changeait ? »

Dans cette troisième partie, Anne-Sophie Nogaret, Professeur de philosophie à Rouen, raconte, pour le magazine, le naufrage de l’Education nationale tel qu’elle l’a vécu de l’intérieur de l’institution : ravages du pédagogisme, renoncement à l’autorité.

Son bilan est sans concession !

Quelques livres à lire pour prendre conscience de l’état de l’Education nationale.

Le Figaro Magazine : Selon vous, quelles sont les causes du naufrage de l’Education nationale ?

Anne-Sophie Nogaret

Anne-Sophie Nogaret : La succession des réformes pédagogiques est lourdement responsable. Prenez les grilles de correction qu’on demande aux profs de français d’appliquer en première : ils doivent vérifier que l’élève a bien mentionné le titre d’un ouvrage, ou qu’il a su repérer une métaphore.

On ne leur demande pas d’évaluer le degré de compréhension du texte. D’ailleurs, les élèves n’appellent pas ça un texte, mais un « document » . Moi, je n’ai pas appliqué ces grilles et des parents m’en ont félicitée ! Mais ce n’est pas forcément le discours des fédérations de parents d’élèves.

Depuis des années, sous leur pression, on a accordé aux parents un poids complètement délirant.

Le Figaro Magazine : En avez-vous été victime ?

Anne-Sophie Nogaret : Souvent. J’ai par exemple été convoquée par ma direction parce que les parents d’une petite à laquelle j’avais mis un avis défavorable n’étaient pas contents. Elle venait quand elle voulait, en raison de « problèmes médicaux » . Elle était très mignonne, elle s’était mis l’infirmière dans la poche, donc je n’avais accès à aucune explication sur ces mystérieux problèmes qui la faisaient venir à 10 heures presque chaque matin au lieu de 8 heures, ou manquer la classe à chaque fois qu’elle devait rendre un devoir. Elle utilisait toutes les failles du système ! J’ai dit à ma hiérarchie qu’elle était libre de changer mon appréciation mais que je ne le ferais pas moi-même.

Le Figaro Magazine : Jean-Michel Blanquer parle d’une école de la « bienveillance  ». un mot qui vous fait bondir. Pourquoi ?

Anne-Sophie Nogaret : Je ne sais pas ce qu’entend par là le nouveau ministre, mais la « bienveillance », telle qu’on la prêche depuis des années à l’Education nationale, est l’antonyme de la sanction, comme si les deux étaient incompatibles. C’est de l’idéologie pure et dure et ça n’aide pas les élèves. On m’a souvent demandé d’émettre des avis favorables pour le bac concernant des élèves qui n’avaient pas la moyenne, par « bienveillance ». Comme si les examinateurs allaient être dupes !

Le Figaro Magazine : L’école a-t- elle renoncé à la discipline ?

Anne-Sophie Nogaret : oui. La sanction est maintenue sur le papier, elle donne même lieu à une inflation de procédures complexes, diluées dans le temps, ce qui lui ôte toute chance d’être efficace au cas où par extraordinaire elle serait appliquée. Et les enfants, bien sûr, le comprennent très vite ! Quand un conseil de discipline finit par avoir lieu et décide d’une sanction, le rectorat peut la casser, alors qu’il y a eu un vote. Un collègue normand m’a raconté que deux élèves, exclus pour avoir bousculé un prof, ont été réintégrés parce que leurs copains étaient allés dire au recteur que le prof mentait.

Le Figaro Magazine : Vous pointez aussi un « racisme inversé ». Comment se manifeste-t-il ?

Anne-Sophie Nogaret : L’institution et les professeurs ont la hantise de passer pour racistes, islamophobes, etc. Je ne dis pas que tous les élèves descendants d’immigrés ou qui viennent des cités posent problème, évidemment, mais quand ces élèves-là sont en cause, la discipline est rarement appliquée et ce sont au final les enfants qui sont les victimes de cette démission.

J’ai vu se répandre la « mentalité de cité », qui n’est rien d’autre qu’une forme de caïdat.

La pratique de l’intimidation, voire la menace, est courante, comme le mépris affiché pour les femmes, l’homophobie et l’antisémitisme.

Le Figaro Magazine : Vous dites comprendre que beaucoup d’élèves n’adhèrent pas au « Je suis Charlie » né après les attentats islamistes de 2015. Pourquoi ?

Anne-Sophie Nogaret : Je n’accepte pas le comportement de ces jeunes, mais je comprends qu’ils soient gavés de la bien-pensance qu’on leur inflige à longueur de temps. Pour faire court, en 2015, on a eu deux formes d’imbécillité face à face. L’élève complotiste de base, tous milieux sociaux confondus, qui passe sa vie sur internet, pas forcément méchant, juste ignare, et le prof structurellement de gauche, bloqué dans le catéchisme du politiquement correct.

En général, c’est un écologiste farouche ! J’ai vu des profs entrer comme des furieux dans ma salle de classe pour engueuler un élève qui avait jeté un papier une heure avant. Curieusement, ils sont moins allants contre l’homophobie, l’homosexualité n’étant pas très bien vue dans certains milieux ! Pour Charlie, beaucoup ont renoncé à parler à leurs élèves.

Le Figaro Magazine : L’enseignement de la laïcité peut-il être un antidote à l’islamisme ?

Anne-Sophie Nogaret : De quoi parle-t-on ? Je connais de nombreux profs toujours contents de faire moins d’heures de cours et qui proposent des ateliers type « laïcité et citoyenneté ». En ZEP, ça plaît, mais je ne suis pas sûre que le résultat soit à la hauteur. C’est encore du catéchisme ! Le seul antidote, c ‘est la connaissance, historique, littéraire, bref, tout ce qui manque à tant d’élèves.

Le Figaro Magazine : Le système des « devoirs faits » instauré par Jean-Michel Blanquer peut-il permettre aux élèves qui en ont besoin de rattraper leur retard ?

Anne-Sophie Nogaret : Sur le papier c’est une bonne idée, à condition que l’encadrement soit compétent. J’ai vu des petits caïds des cités, envoyés par la mission locale qui essayait de les réinsérer, faire du soutien scolaire en maternelle et en primaire. C’est très bien pour apprendre aux gamins des morceaux de rap, mais pour le reste …

Le Figaro Magazine : Vous semblez très pessimiste. L’Education nationale est-elle vouée à sombrer ?

Anne-Sophie Nogaret : Il n’y aura pas d’issue tant qu’on ne renoncera pas d’abord à l’idée que tout le monde est fait pour l’enseignement général et qu’on ne réhabilitera pas l’enseignement professionnel et technique. J’ai eu régulièrement des élèves qui végétaient en terminale parce que des profs les avaient découragés d’aller dans le technique en fin de troisième, alors qu’ils étaient demandeurs.

Le Figaro Magazine : Avez-vous l’ intention de continuer l’enseignement ?

J’aime enseigner ! On peut avoir des relations extraordinaires avec des classes ou des élèves, et d’autres désastreuses, mais c’est la minorité. C’est un métier que j’adore, mais dans les conditions actuelles, il faut avoir une mentalité de combattante. Aujourd’hui, je rencontre beaucoup de jeunes, en général femmes, qui disent vouloir enseigner mais qui se voient en fait animatrices, assistantes sociales ou psychologues. Elles ne rêvent que de « dialoguer » avec les élèves. Les critères de recrutement doivent absolument changer, comme les méthodes d’enseignement et les programmes. Le respect de la discipline doit être restauré.

Tout est imbriqué. Ça prendra du temps et on ne pourra pas tout faire en même temps. Il faudra hiérarchiser les priorités …

… et ça, Jean-Michel Blanquer, qui connaît la machine, semble l’avoir bien compris.

Propos recueillis par Judith Waintraub pour le Figaro Magazine.

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