Clemenceau, un homme enraciné

Publié par le 24 Fév, 2019 dans Blog | 0 commentaire

Clemenceau, un homme enraciné

Alors que vient de s’achever une exposition au Panthéon sur « le Tigre », Bruno Retailleau, sénateur de la Vendée, démontre ce que cet homme politique de gauche peut apporter à la droite d’aujourd’hui.

Voici sa tribune, publiée cette semaine dans l’espace de libres débats de Valeurs actuelles :

Il pourrait paraître étrange, sinon improbable, qu’un homme de droite fasse l’éloge de Georges Clemenceau. Disons-le tout net : celui que Hannah Arendt définissait comme « le dernier fils de la Révolution » était, à n’en pas douter, un homme de gauche. Mais d’une gauche qui ne se contentait pas d’être seulement de gauche, comme la droite ne peut se borner à être simplement de droite. À rebours de ceux qui se noient dans les basses eaux de l’idéologie ou du cynisme, Clemenceau sut jeter des ponts vers d’autres rives.

Le premier pont, c’est la liberté. La liberté envers et contre tout. Et parfois même contre son propre camp. Comme sur le monopole éducatif de l’État. Ce monopole qu’il refuse à la République au nom de la liberté républicaine.

« Je repousse l’omnipotence de l’État laïque, parce que j’y vois une tyrannie d’État »,

lance-t-il au Sénat le 17 novembre 1903. À droite, on applaudit. Des mots que publiera Charles Péguy dans ses fameux Cahiers de la Quinzaine, sous ce titre évocateur: « Discours pour la liberté ». Relire ce discours, c’est comprendre comment, à travers sa dénonciation de la « doctrine de l’absorption totale », Clemenceau vit poindre la tentation totalitaire.

Une intuition qui, peut-être, fut tirée de l’expérience vendéenne. Celle d’un « bleu » bien sûr, républicain et anticlérical jusqu’à l’obstination. Mais d’un bleu de Vendée, qui, par son opposition à tout ce qui put opprimer -l’antisémitisme, avec l’affaire Dreyfus, mais également le bolchevisme, auquel il fut toujours farouchement hostile -, rejoignit par un chemin de traverse les « blancs » de Vendée. Ces paysans de 1793 qui, parce qu’ils avaient cru aux idéaux de 1789, firent le choix de la liberté contre la violence terroriste et cette funeste volonté de fabriquer, artificiellement, un homme nouveau.

Liberté donc, mais liberté enracinée. C’est l’identité, ce pont qui relie le Tigre à cette terre vendéenne. « J’aime la Vendée », déclare-t-il au soir de son existence. Et il ajoute, comme étonné: « C’est curieux, j’aime les Vendéens [… ] Ces paysans sont morts pour la même idée qui a fait vivre et mourir tous les hommes depuis la forêt néolithique: la défense de la terre natale. »

Caricature de Clemenceau surnommé le tigre

Alors que s’étalent sous nos yeux, dans les rues et sur les ronds-points, les dégâts d’une politique déracinée, et que nous mesurons le prix de nos petites « patries charnelles », l’attachement de Clemenceau pour « sa » Vendée nous rappelle que le lieu, c’est le lien. Celui qu’il tissa avec les Vendéens ne fut jamais rompu. La Vendée sera toujours son refuge, à chaque étape joyeuse ou douloureuse de sa vie. C’est dans « cette terre héroïque », comme il aimait à dire, que Clemenceau a choisi de reposer. Auprès de son père. Comme Jean de Lattre qui choisira de reposer auprès de son fils, dans le petit cimetière de Mouilleron-en-Pareds; cette même commune où Georges Clemenceau vit le jour.

De Lattre, Clemenceau. Une expression vendéenne de la synthèse française. Synthèse entre deux traditions: l’une croyait au ciel, l’autre n’y croyait pas. Et pourtant, ces deux filiations dessinent une même obsession: unir. Cette grande oeuvre française, toujours à recommencer. Sur la ligne de front, où l’intrépide président du Conseil n’hésite pas à se rendre – jusqu’à apostropher l’adversaire depuis la tranchée ! -, il n’y a plus ni radicaux, ni socialistes, ni conservateurs, ni blancs, ni bleus. Seulement des poilus, tous fils de France. À la Chambre, les voix de la division et du renoncement s’estompent devant le « Je fais la guerre » du Tigre. Il aura fallu un seul homme pour que la France se dresse comme un seul peuple. Mais quel homme ! « ll a été la France », dira Winston Churchill avec admiration. La France, pas seulement la gauche. Ni même uniquement la République. La France tout entière. Le 11 novembre 1918, c’est un Clemenceau ému qui lancera ces mots sublimes : « La France, hier soldat de Dieu, aujourd’hui soldat de l’humanité, sera toujours le soldat de l’idéal. » Unir encore et toujours, dans la victoire comme dans l’épreuve.

Liberté, identité, unité: campé sur la rive gauche de l’histoire, Georges Clemenceau nous entraîne pourtant sur le chemin français. Ce même chemin dont, à force d’emprunter les sentiers de traverse, de courir après tel ou tel mais surtout après l’événement, notre famille politique s’est écartée.

Oui, Clemenceau a quelque chose à dire à la droite.

L’écouter, c’est l’assurance que demain la droite aura quelque chose à dire à la France. Certes, la situation de notre famille politique est difficile; les temps sont de toute évidence à la complexité. Raison de plus pour revenir aux choses simples. Cessons de jouer aux plus malins, retrouvons cette force brute et vraie qui était celle de Clemenceau et qui trop souvent fait défaut à notre famille politique:

la simplicité des convictions.

Bruno Retailleau pour Valeurs actuelles.

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