Macron, entre sidération, admiration … et panique ! (2/2)

Publié par le 18 Juin, 2017 dans Blog | 0 commentaire

Macron, entre sidération, admiration … et panique ! (2/2)

Voici la seconde partie de l’article de Jean-Claude paye paru sur le site du réseau Voltaire. La première partie est consultable ici.

État d’urgence et réforme du Code du travail

À travers ses Recommandations, pays par pays publiées le 21 mai, la Commission européenne vient d’annoncer qu’elle attendait avec impatience la future réforme du Code du travail. Pratiquant, tout en finesse, une procédure langagière que la psychanalyse appelle dénégation, le commissaire à l’Économie Pierre Moscovici a déclaré que si « la Commission n’a pas à s’immiscer dans les affaires d’un pays », la France « a besoin de réformes » [7].

En fait, le contenu de la loi El Komri et du nouveau projet de loi de réforme du Code du travail vient des GOPE , des « Grandes Orientations de Politique Economique ». Devenues des recommandations du Conseil aux pays membres de l’Union européenne, elles s’imposent à eux par le biais d’un « suivi », par lequel le Conseil exerce sa surveillance [8].

Les « attentes » de la Commission européenne n’ont d’égales que celles du patronat français [9], le contenu du projet expliquant cette double « espérance ». Dans son édition numérique, Le Parisien a présenté l’avant-projet de loi du 12 mai, que le gouvernement veut imposer en légiférant par ordonnances [10]. Il s’agit d’abord d’élargir les compétences de « la négociation collective d’entreprise ». Surtout, il est précisé qu’il sera possible de déroger à la loi par un accord d’entreprise. Une autre priorité concerne le plafonnement des indemnités « en cas de licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ». Le projet veut aussi simplifier les institutions représentatives du personnel en fusionnant le Comité d’entreprise, le Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail et le Délégué du personnel dans une instance unique qui pourrait alors être autorisée à négocier les accords d’entreprise, prérogative jusqu’à présent réservée aux syndicats. Se préparant à une forte opposition sociale, le nouveau président a prévu, non seulement de faire passer le texte, au pas de charge, par le biais d’ordonnances, mais aussi et surtout de prolonger l’état d’urgencejusqu’au premier novembre, rappelant par là la première fonction de cette suspension des libertés : neutraliser le droit de manifester et au passage supprimer cinquante ans de conquêtes sociales et non empêcher des attentats terroristes.

La moralisation de la politique

Après avoir été élu « par devoir », par des citoyens voulant « faire barrage à l’extrême droite », la morale est tout aussi prégnante dans les déclarations du nouveau président. La « vocation », base de l’engagement des élus, se double d’une « moralisation de la vie publique ». Cette dernière devient « le socle » de l’action du président. Il insiste particulièrement sur l’exemplarité des élus.

L’image des élus efface tout débat politique. Emmanuel Macron fait « de la moralisation » une question urgente, en élaborant un premier texte, dès avant les élections législatives. Un casier judiciaire vierge, hors condamnation mineures et contraventions, serait nécessaire pour devenir parlementaire [11]. Ce projet est centré sur l’affaire Fillon, en prévoyant d’interdire les emplois familiaux pour les élus et les ministres. Il prévoit aussi une réforme sur les moyens financiers mis à la disposition des députés et sénateurs en imposant la « transparence » sur les conflits d’intérêts pour les élus et les ministres, ainsi que le non-cumul des mandats [12].

Ce projet de loi sur la moralisation publique est légèrement perturbé par le ministre de la Cohésion des territoires, Richard Ferrand, épinglé pour une affaire immobilière impliquant sa compagne et critiqué pour le mélange qu’il pratique depuis vingt ans entre chose publique et affaires privées [13]. Pour le moment, Richard Ferrand exclut clairement de démissionner. « Je ne le ferai pas pour deux raisons : d’abord j’ai ma conscience pour moi, je ne suis pas mis en cause par la justice de la République que je respecte profondément, et (…) je veux me consacrer aux priorités de mon ministère », a-t-il réaffirmé [14]. Le parquet de Brest avait dans un premier temps estimé que les faits ne constituaient pas une infraction. Le procureur Éric Mathais s’est ravisé a ouvert une enquête préliminaire « après analyse des éléments complémentaires. »

Une morale à géométrie variable

La manière dont cette affaire est traitée est intéressante. Le peu de pressions exercées sur Richard Ferrand pour le pousser à la démission montre bien la distinction que le nouveau Pouvoir entend faire entre « l’abus de biens sociaux » que constitue l’existence d’emplois fictifs et la normalité du monde des affaires qui consiste à utiliser légalement les biens publics au profit d’affaires privées. D’ailleurs, le ministre de la Cohésion des territoires n’y voit aucun conflit d’intérêts [15]. Il n’y a en effet aucune opposition : les biens publics sont, depuis le début du capitalisme, une base de valorisation de patrimoines privés.

La notion de morale porte tout autant sur les populations que sur leurs représentants. Cependant, lorsque les citoyens, soumis à un impératif catégorique de voter « par devoir » pour Emmanuel Macron afin de contrer le Front National, ils le font indépendamment de leur intérêt qui est notamment de supprimer la réforme du Code du travail. Nous nous trouvons là face à une loi morale purement abstraite, d’ordre kantien, selon laquelle « la volonté doit se résoudre à cette action, abstraction faite de tous les objets de la faculté de désirer » [16]. Il n’en est pas de même en ce qui concerne la morale des « représentants du Peuple » pour qui, tel que le montre l’affaire Ferrand, l’intérêt et le devoir sont fermement réunis. Le ministre de la Cohésion des territoires se réclame alors d’une conception défendue par Jérémie Bentham, penseur du capitalisme naissant, selon laquelle « en saine morale le devoir d’un homme ne saurait jamais consister à faire ce qu’il est de son intérêt de ne pas faire » [17].

Jean-Claude Paye

[7] Cécile Decourtieux, « Bruxelles attend emmanuel Macron sur sa nouvelle loi travail », Le Monde, 22 mai 2017.
[8] « Les GOPE sont les « Grandes orientations de politique économique ». Plus précisément, ce sont des documents préparés par la direction générale des Affaires économiques de la Commission européenne. Conformément à l’article 121 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), ces documents sont ensuite transmis au conseil Ecofin (c’est à dire à la réunion des ministres européens de l’Économie et des Finances), puis au Conseil européen (les chef d’État et de gouvernement). Après validation, les GOPE deviennent des recommandations du Conseil aux pays de l’Union et font l’objet d’un suivi. Toujours selon l’article 121, « le Conseil, sur la base de rapports présentés par la Commission, surveille l’évolution économique dans chacun des États membres ». Cette « surveillance multilatérale » est rendue possible grâce aux informations généreusement fournies par les États à la Commission » in Caroline Delaume, « Ce que la loi El Khomri doit à l’Union européenne », Le Figaro.fr, 17 mai 2016.
[9] Jean-Christophe Chanut,« Fin des 35 heures, de l’ISF…Ce que le Medef attend de Macron », La Tribune.fr ,le 16 mai 2017.
[10] Catherine Gasté, « Le plan de Macron pour réformer le travail », Le Parisien.fr, 4 juin 2017.
[11] Eléa Pommiers, « Et pour commencer, la moralisation de la vie publique », Le Monde, 7 mai 2017.
[12] Jean-Baptiste Jacquin, « La moralisation de la vie publique au menu du conseil des ministres », Le Monde, 31 mai 2017.
id= »nb13″ class= »spip_note » title= »Notes 13″ href= »http://www.voltairenet.org/article196851.html#nh13″ rev= »footnote »>13] Anne Michel, Alexandre Pouchard, Yann Bouchez, Jérémie Baruch & Maxime Vaudano, « A travers sa défense, Richard Ferrand confirme toutes les informations du ‘’Monde’’ », Le Monde, 30 mai 2017.
[14] Roland Gauron, « Comprendre l’affaire Ferrand en cinq questions », Le Figaro.fr, le 1er juin 2017.
[15] Anne Michel, Alexandre Pouchard, Yann Bouchez, Jérémie Baruch & Maxime Vaudano, « L’étrange conception du conflit d’intérêts de Richard Ferrand », Le Monde, 30 mai 2017.
[16] « L’impératif catégorique. La conception kantienne du devoir », Akadem.
[17] Eugène Lerminier, « Morale de Bentham », Revue des Deux Mondes – 1834 – tome 2.

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