Marcel Gauchet habille Macron pour l’hiver

Publié par le 22 Nov, 2021 dans Blog | 1 commentaire

Marcel Gauchet habille Macron pour l’hiver

Emmanuel Macron ne craindra rien des frimas de l’hiver !

Le philosophe et historien Marcel Gauchet vient de publier un pamphlet accablant intitulé :

Macron, les leçons d’un échec

A cette occasion, le philosophe a accordé une interview à Elisabeth Lévy et Jeremy Stubbs qui la publie dans  Causeur.

En voici des extraits :

En proposant des solutions à tous les problèmes sans en chercher leur cause, Emmanuel Macron s’est agité dans le vide pendant cinq ans. Son arrogance de surdiplômé a alimenté la haine des élites. Mais en dehors de la communication présidentielle, le macronisme n’a rien produit. Quant à la refonte promise de l’Union européenne, il n’a fait que nous prouver que tout continuerait comme avant. Et ridiculiser la France.

Diriez-vous que, comme on le lui reproche rituellement, Macron fait preuve de « mépris social » ?

Dans un sens oui, mais à condition de préciser que ce mépris n’est pas le sien. Il est celui qu’incarne le milieu dont il est un représentant typique. On a assisté, et pas seulement en France, à une réinvention du mépris social qui n’est plus celui des aristocrates, mais celui des élites diplômées de la société de la connaissance mondialisée. Un mépris plus objectif que subjectif, puisqu’il est fait surtout d’incompréhension et d’indifférence pour les perdants qui « n’ont pas les codes », comme on dit. Et il s’appuie sur un argument démocratique imparable : nous en savons plus que vous.

Qui eût attendu des Lumières qu’elles recréent une aristocratie d’un genre nouveau ? Pourtant, c’est le cas. Le phénomène est particulièrement ressenti en France parce qu’il se colore du legs d’une culture particulière.

Mais justement, cela fait longtemps que vous imputez le mal français à notre incapacité collective à établir un diagnostic véritable de la situation et plus encore à élire des gens qui portent un tel diagnostic et imposent les conséquences du traitement…

Le fait même que Macron ait pu être élu sur une ligne transgressive montre que la société est en attente d’une rupture de vérité – et je dirais la même chose du succès actuel de Zemmour. La fonction fondamentale du politique, celle dont on ne parle jamais, consiste à faire émerger la vérité sur l’état d’une collectivité. La valeur la plus forte de la démocratie réside dans cette possibilité. Cela passe par la désignation de personnes capables de mettre ces vérités en scène et de mobiliser les énergies indispensables pour solidifier le constat. De ce point de vue, l’élection de Macron a représenté un pas dans la bonne direction, quelles qu’aient été ses limites. Il a remis le processus en route, même s’il se retourne aujourd’hui contre lui. Il est possible de dire, désormais, que la désindustrialisation n’était pas une fatalité et que le choix d’une économie de services était une erreur historique. Il est possible de dire que nous sommes handicapés par l’obésité d’un État social devenu dingue. Sans Macron, on n’aurait pas eu ces déstabilisations successives du discours ambiant. Dans ce sens, il a ouvert une brèche dans laquelle ont pu s’engouffrer les Gilets jaunes ou Zemmour.

Vous postulez que Macron a échoué. Pourtant, il a toutes les chances d’être réélu.

Avait-il pour seule ambition d’être réélu ? Je lui fais le crédit d’avoir visé beaucoup plus haut et c’est à cette aune qu’il faut juger de sa réussite ou de son échec. Macron a échoué à redonner confiance aux Français dans leur destin collectif. Ce qui me fascine dans le parcours de Macron, c’est la métamorphose de l’homme de la rupture en homme de la continuité. Il nous promettait la « transformation » ; il nous garantit aujourd’hui la perpétuation du bordel ambiant. Il est le candidat de la France qui s’accommode de son marasme ou qui y trouve son avantage.

Quelle était son ambition ?

Les Français ont l’impression d’être descendus en deuxième division par rapport à leur passé, celui d’un pays qui a été à l’avant-garde de l’invention politique, scientifique, industrielle et intellectuelle. L’ambition de Macron était de redonner au pays les moyens de rester dans la continuité d’une histoire objectivement menacée par le contexte global, de permettre à la France de retrouver une vitalité politique, économique, culturelle, intellectuelle qu’elle est manifestement en train de perdre.

 L’autre grande ambition qu’affichait le candidat Macron, c’était de réformer l’Europe. Avec ses grandes idées dont les autres ne veulent pas, la France n’a-t-elle pas surtout été ridicule ?

L’Europe est le lieu même de l’échec de Macron qui prétendait la mettre en mouvement avec une « refondation » dont, à part nous, personne ne veut. Je ne peux pas croire qu’il avait la conviction de pouvoir faire bouger Merkel de ses certitudes tranquilles. L’affichage de ses grandes ambitions n’aurait-il été qu’à usage interne ? En pratique, il a continué sur la lancée de ses prédécesseurs, en multipliant les concessions, grâce auxquelles, paraît-il, nous aurons demain, en récompense de notre bonne volonté, une plus grande influence en Europe. Les résultats de cette brillante tactique sont pourtant clairs depuis trente ans ! Nous restons pris au piège d’une alternative absurde : soit on sort de l’Europe, soit on la laisse aller comme elle est et on se soumet à tout. Il serait temps de se souvenir que l’action politique consiste dans la  définition et l’exploitation de marges de manœuvre.

Cette impuissance du pouvoir qui alimente notre sentiment de désespoir n’est-elle pas aggravée par le pouvoir des juges ?

C’est une évidence qui attend d’être prise en compte comme elle l’exige. La montée des juges, en particulier dans le cadre européen, est un élément clé de l’impuissance des pouvoirs. Encore faut-il préciser que ceux-ci ont choisi de s’incliner. La Cour de justice européenne a été à l’avant-garde. Les gouvernements ont laissé faire, en fonction de l’idée que les juges feraient l’Union européenne mieux que les élus. On lui a donné les coudées franches pour constitutionnaliser des traités, donc pour transformer des choix politiques en arbitrages juridiques. C’est totalement antidémocratique. La montée du pouvoir judiciaire est fondée, en dernier ressort, sur l’idée que la seule légitimité qui compte est celle des droits individuels hors de toute expression politique. Les droits de chacun priment sur les droits de tous. C’est la mort de la politique, c’est-à-dire de la possibilité de décider au nom d’une collectivité.

Pour finir, revenons sur le phénomène Zemmour. Que vous inspire-t-il ?

Le phénomène a un effet positif de mise à l’agenda. L’écho mesurable rencontré par le discours de Zemmour a levé une série d’interdits et imposé des thèmes qui seront désormais incontournables, quoi qu’il arrive. Si l’on pense, comme moi, que la démocratie consiste dans la mise sur la table de toutes les préoccupations des citoyens, sans anathèmes ni tabous, on ne peut que se féliciter de cette effraction, quoi qu’on pense des réponses à apporter aux questions qu’il a raison de soulever. Encore une fois, la démocratie est le régime où on discute de tout. De ce point de vue, Zemmour a rendu service à la démocratie.

Le succès d’Eric Zemmour succès tient aussi au fait qu’il comprend une angoisse existentielle : les Français ont peur de mourir en tant que peuple.

C’est juste, si « mourir comme peuple » veut dire « mourir comme culture politique originale ». Car la composition de la population n’est pas en soi le problème. Si les immigrés épousaient ce modèle hérité, à l’exemple des vagues d’immigration précédentes, nous n’aurions affaire qu’à des questions d’intendance. C’est la philosophie diversitaire qui va avec qui suscite l’angoisse existentielle que vous évoquez. Et le problème de l’immigration n’est lui-même qu’une des faces du problème plus large posé par la pression de la mondialisation et de la puissante idéologie antipolitique qui l’accompagne – le point faible de Zemmour, soit dit au passage. La société française qui, depuis la Révolution, se pense comme un laboratoire d’avant-garde en matière politique est placée face à un choix, dans ce contexte qui la prend à revers : soit on renonce à ce qu’on a été, soit on trouve le moyen de le réinventer pour le maintenir autrement. Zemmour a le mérite d’appeler l’attention sur ce choix que la classe politique s’évertue à éviter depuis des décennies. Le non-choix étant évidemment le choix de subir.

Vous parlez du malheur français, mais que serait le bonheur français ?

Est-ce si sorcier d’en indiquer la ligne générale ? Pour commencer, retrouver tout simplement le sens de la politique, c’est-à-dire cesser de subir en se demandant comment agir face à ce qui s’impose à nous. Renouer avec quelques fondamentaux de notre histoire, reconstruire un État qui marche, réactiver un vrai débat politique à la hauteur du passé, face aux enjeux inédits du présent, rebâtir une École, de la maternelle au Collège de France, qui réconcilie l’aspiration individualiste d’aujourd’hui avec la civilisation politique que la République avait incarnée. Certes, en pratique, le chantier est immense. Mais dans son principe, il n’est pas très difficile d’en définir les principaux axes.

Propos recueillis par Elisabeth Lévy et Jeremy Stubbs.

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Une réponse à “Marcel Gauchet habille Macron pour l’hiver”

  1. La montée du pouvoir judiciaire est fondée, en dernier ressort, sur l’idée que la seule légitimité qui compte est celle des droits individuels hors de toute expression politique. Les droits de chacun priment sur les droits de tous.

    Je n’en suis pas certaine.
    En effet, les plaintes déposées aux tribunaux,sont reçues (donc recevables, uniquement si elles sont macrono compatibles (ou européano compatibles) tant sur le plan migratoire (les migrants imposés par l’état, squatteurs, gagnent devant les propriétaires) que sur le plan fiscal (peu de particuliers, spoliés par l »état ont gain de cause) que sur le plan sanitaire (les requêtes des soignants en tant qu’individus sont rejetées au nom du bien collectif, par les tribunaux…)

    Et dans bien d’autres cas!

    Par contre si on parle de « minorités » (LGBTQRCode+++…, Migrants, Déséquilibrés du couteau….Woke…Féministes…), au détriment de la majorité, là, oui, c’est exact, mais un groupe minoritaire est plus important en nombre qu »un individu!
    (La Palice)

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