Retraites : laissons les particularismes s’exprimer

Publié par le 1 Déc, 2019 dans Blog | 0 commentaire

Retraites : laissons les particularismes s’exprimer

L’uniformisation qui découle d’un régime universel de retraite, voulu par le gouvernement, ne doit pas empêcher de prendre en compte certains besoins spécifiques.

Pour Augustin Landier et David Thesmar, il faut rester ouvert par principe aux particularismes, tant qu’ils s’expriment sans responsabilité financière de l’Etat.

Vous venez de lire l’introduction d’un article paru dans le magazine Les Echos.

Effectivement, de quel droit obligerions-nous certains régimes de retraites spécifiques – et non spéciaux !!! – qui ont fait la preuve de leur saine gestion et qui ne demandent aucune subvention à l’Etat, à rejoindre un régime général dont on ne sait quasiment rien quant à son futur équilibre et sa pérennité ?

Il faut l’avouer : l’embrasement annoncé dans lequel la  réforme des retraites plonge le pays est profondément déprimant. Il incarne l’engluement de nos débats publics, qui, décennie après décennie, reviennent sous des formes à peine modifiées, aboutissant à des colères en pilote automatique et des réformes mutilées. Dans les médias et dans la rue, on nous joue la partition mille fois entendue du conflit entre fonctionnaires et salariés du privé, femmes contre hommes, carrières linéaires versus carrières hachées. Chacun se sent obligé de montrer les dents par crainte d’être le dindon qui paie l’addition.

« La défiance est le meilleur ciment des colères disparates »

Sans prétendre avoir la recette miracle, il nous semble que deux inflexions permettraient de mieux poser le débat et d’organiser la négociation. Tout d’abord, nous sommes frappés par  l’opacité singulière qui entoure les discussions ; elle amplifie la défiance. Un lecteur avisé de la presse, même si on le suppose incroyablement attentif, se voit noyé dans le million de détails institutionnels d’un système pointilliste. Le tableau en est tellement compliqué qu’on ne sait plus vraiment qui gagnerait à cette réforme, qui reste elle-même floue. L’opacité est telle que certains se demandent s’il ne s’agit pas là d’une stratégie délibérée du gouvernement pour diviser l’opposition et tirer parti des vieux griefs contre les régimes spéciaux, perçus comme des privilèges.

Chantier de clarification

Délibéré ou pas, ce niveau d’opacité est une erreur, car la défiance est le meilleur ciment des  colères disparates . Il faut donc rapidement lancer un chantier de clarification : une étude (ou une plate-forme Web) de l’Insee, du COR, ou de l’Institut des politiques publiques permettrait facilement de simuler des cas particuliers sous des hypothèses transparentes, pour voir qui sont les groupes gagnants et perdants des réformes ; on pourrait alors, s’il y a lieu, négocier des dédommagements. Pour être vraiment informative, une telle analyse doit prendre en compte la dimension  « cycle de vie » des retraites, c’est-à-dire intégrer le montant des cotisations et des pensions au cours d’une vie tout entière. Un simple focus sur le taux de remplacement ou l’âge de départ à la retraite est très insuffisant, et ne fait qu’ajouter de la confusion au débat.

Uniformisation drastique

La seconde dimension qui mériterait d’être mieux posée dans la négociation est celle de la décentralisation :  il faut rester ouvert par principe aux particularismes , tant qu’ils s’expriment sans responsabilité financière de l’Etat. L’infirmité du système actuel, c’est d’avoir voulu faire du sur-mesure tout en étant monolithique, en ce que tous les régimes s’appuient sur la garantie de l’Etat. La réforme actuellement proposée y répond en imposant une uniformisation drastique : même les retraites complémentaires se voient absorbées dans le système du point unique.

Socle commun

Pour laisser une voix d’expression au particularisme, la solution est de scinder formellement le système actuel en deux couches : une première couche, qui assure à chacun un socle commun basé sur un point national unique. C’est le coeur de la réforme actuellement proposée par le gouvernement. Dans ce pilier central, tout euro cotisé donne les mêmes droits et l’Etat se porte garant. Mais, par ailleurs, il faut laisser à chaque profession, voire à chaque région, la possibilité a priori de proposer à ses acteurs un second pilier décentralisé, répondant aux besoins spécifiques mais ne bénéficiant d’aucune garantie publique ni d’aucune subvention des autres régimes. Les caisses du second pilier relèveraient d’une retraite complémentaire financée séparément, qui ne serait pas fondue dans le socle commun.

La solidarité nationale continuerait donc d’opérer – à travers le premier pilier – tout en laissant à la société française l’option de s’organiser indépendamment de l’Etat pour traiter les besoins spécifiques. Pour engager la négociation, écarter d’emblée la possibilité des particularismes est une stratégie inutilement dangereuse. Il faut au contraire leur donner la possibilité de s’exprimer, mais dans un cadre responsabilisant, c’est-à-dire sans le filet de l’Etat.

Augustin Landier, professeur à HEC et David Thesmar, professeur au MIT pour Les Echos.

De mon point de vue, malheureusement, la solution préconisée dans cet article (le socle commun et un second pilier adapté à, chaque branche) est bien trop intelligente pour être finalement choisie par le gouvernement et ses interlocuteurs sociaux !

Personnellement, je proposerais une autre solution : on laisse le choix à chaque régime de retraite de rejoindre le nouveau régime (à points) ou de conserver l’ancien  …

… sous réserve qu’il en assure lui-même l’équilibre financier !

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