« Djihad City » face aux juges

Publié par le 27 Avr, 2018 dans Blog | 0 commentaire

« Djihad City » face aux juges

Après :

« Le salafisme, 5 ème colonne de l’islamisme radical »

« Mosquées, les temples du séparatisme islamique »

« L’islamisme chausse ses crampons »

Voici le dernier chapitre du grand dossier La contagion salafiste publié la semaine dernière par le magazine Valeurs actuelles :

Le procès de la filière salafiste de Lunel (Hérault) s’est achevé mercredi 11 avril. Simples seconds couteaux, les cinq prévenus sont un exemple de plus de l’enracinement de l’islamisme en France.

Pas de figure majeure de l’État islamique ce 5 avril devant la 16 ème chambre correctionnelle du tribunal de Paris. Ni terroriste passé à l’acte, ni bourreau d’otage français, ni même guerrier d’Allah au tableau de chasse sanglant. Parmi les cinq hommes qui comparaissent pour « association de malfaiteurs terroristes » ou « financement d’entreprise terroriste », seuls deux sont allés en Syrie, et encore : le premier, Adil Barki, est parti le 27 novembre 2013 pour revenir moins de deux mois plus tard, avec à son palmarès travaux ménagers et cueillette des olives, frappé d’interdiction de maniement des armes à cause de ses fréquentes crises de panique. Le second, Ali Abdoumi, a effectué un court aller-retour à la frontière turco-syrienne en octobre 2014 avec ses deux filles.

La « filière djihadiste » qui les unit aux autres suspects, Hamza Mosli, Jawad Salih et Saad Belfilalia n’en est pas une, de l’aveu même de l’instruction. Celle-ci cache sous l’euphémisme d’« émulation djihadiste collective » une réalité bien plus glaçante : celle de l’engouement d’une partie de la population de Lunel (Hérault) pour la cause de l’État islamique, qui a provoqué, entre 2013 et 2015, une vingtaine de départs vers la Syrie dans cette ville de 26 000 habitants.

L’ancienne porte de la Petite Camargue, située entre Montpellier et Nîmes, n’a pas volé son nouveau surnom de « Djihad City », devenue « la ville de France la mieux représentée au sein de l’État islamique », de l’aveu réjoui de Hamza Mosli, 29 ans, poursuivi comme principal recruteur djihadiste.

Lunel, c’est une histoire aussi banale que tragique, celle d’un emballement de l’immigration à partir des années 1970, qui a progressivement chassé du centre-ville les « pescalunes » (« pêcheurs de lune » en occitan), surnom que se donnent les natifs de la bourgade, et apporté son lot de communautarisme.

En 2006, le maire divers droite lance la construction de la mosquée El-Baraka pour acheter la paix sociale auprès de ses quelque 6 000 administrés musulmans de l’époque, un nombre alors bien parti pour augmenter à force de naissances et de conversions.

La mosquée de Lunel

Premier reniement : les prêches devaient être en français, mais l’imam marocain n’en parle pas un mot. Cet homme qui refuse l’hommage à Hervé Gourdel, Français décapité en Algérie en 2014 par des djihadistes, est encore jugé « trop libéral » par une cinquantaine de croyants qui le menacent de mort et obtiennent son départ fin 2015: il n’avait pas honoré la mémoire des huit Lunellois morts au combat aux côtés de l’État islamique …

C’est que la mosquée n’est plus le  seul lieu de culte de Lunel à cette période : le snack-chicha Le Bahut, situé entre deux établissements scolaires, abrite des « assises religieuses  » sous le patronage de Jawad Salih, 34 ans, la figure spirituelle du groupe. Salih prêche, Mosli joue le relais avec ses contacts de l’État islamique, avec la complicité active du gérant : Le Bahut a été racheté par Abdelkarim Belfilalia (le frère de Saad), surnommé « Karim le Chinois« , premier habitant de la ville à partir pour la Syrie en novembre 2013.

Cause humanitaire et décapitations

À la barre du tribunal, dans son maillot du PSG, Adil Barki, parti une semaine après Karim le Chinois, tient le discours de tous les « revenants »: ses objectifs étaient humanitaires, il voulait « aider la population » et « pacifier une zone de combat ». Dans les prêches qui l’ont incité à partir, la figure « du Satan » Bachar al-Assad revient comme un mantra, tout comme « la souffrance des populations syriennes et palestiniennes ». Inapte au combat à cause de ses « crises » pour lesquelles il a subi plusieurs exorcismes en France et au Proche-Orient, se croyant possédé par un djinn, il prétend s’être enfui de L’Armée de Mohamed, proche du Front al-Nosra, qui l’avait accueilli. Il a pourtant récupéré le passeport qu’on lui avait confisqué à l’arrivée, et, une fois rentré à Lunel, est traité avec les égards d’un vétéran par ceux qui s’apprêtent à sauter le pas. Lorsque Hamza Mosli l’informe de la mort de deux de leurs amis au front, il répond : « La vérité, faut être heureux pour eux. » Un jeune Lunellois, cité par la présidente du tribunal, rapporte que « tout le monde admirait les gens qui partaient là-bas, cela donnait envie. »

Symbole de cette admiration « humanitaire », les vidéos de décapitation au couteau connaissent un franc succès chez les fidèles des « assises religieuses ». Hamza Mosli et Jawad Salih se les échangent par Internet et en font profiter leur réseau. Ali Abdoumi, le doyen des suspects avec ses 48 ans qui en paraissent 60, en a même montré une à sa fille de 11 ans pour la préparer à la zone de guerre. Devant la cour, il nie la chose, accuse BFM d’avoir traumatisé ses « petites reines », mais reconnaît avoir tenu des propos « maladroits » avec un émir de l’État islamique, auquel il promettait de commettre des attentats  sur « les galeries Lafayette, les plans avec issue de secours, genre école, autoroute, la tour Eiffel ».« Ça fait partie de mon plan pour [qu’il] croie que je suis motivé », répète-t-il, s’accrochant à sa version d’un projet fou qui l’aurait mené en Syrie pour y « exfiltrer » Abdelkarim Belfilalia. Un plan qui s’est pourtant poursuivi plusieurs mois après la mort de l’intéressé.

Dans ses échanges, Karim le Chinois n’exprimait jamais le souhait de rentrer en France, mais demandait à ses amis de lui fournir une aide financière. Son frère Saad comparaît pour lui avoir apporté 190 euros par le biais de sa belle-soeur. « C’était mon frère, mon sang », justifie celui qui se présente comme « musulman non pratiquant ».

À Lunel comme dans d’autres villes, le nombre de virements Paypal de petites sommes d’argent pour aider « un pote » se sont démultipliés, tout comme les cagnottes en ligne pour venir en aide aux « expatriés ». Des faits que la justice poursuit souvent en vain. « Financement de terrorisme, c’est une accusation bâtie sur du sable. Ils ne subventionnent pas Dae’ch, ils viennent en aide à de la famille ou des amis », affirme un avocat de la défense qui prévoit  que Saad Belfilalia sortira de l’audience aussi libre qu’il y est entré.

Famille, nation, religion: l’allégeance des prévenus reste une question taboue devant les tribunaux, comme l’a rappelé la présidente dès les premières minutes comme pour soulager sa conscience : « Si je vous pose des questions sur votre religion, ce n’est pas parce que le tribunal fait des associations stupides entre l’islam et le terrorisme. » Les suspects peuvent être rassurés, ils ne risquent que de la prison avec remise de peine automatique. Ils seront traités en délinquants potentiels et non en partisans d’une cause religieuse ou étrangère. En France, les ennemis proclamés ont droit à tous les égards du procès équitable.

Même au milieu d’une guerre. Même après 250 morts.

Pierre Arnoux pour Valeurs actuelles.

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