Etats-Unis : la grande fracture idéologique (2/3)

Publié par le 1 Août, 2022 dans Blog | 1 commentaire

Etats-Unis : la grande fracture idéologique (2/3)

Voici la deuxième partie du dossier consacré à la grand fracture idéologique qui secoue les Etats-Unis (première partie ici) :

Deux visions opposées

La polarisation est telle que ces deux tribus sont chacune persuadée de se défendre face à une menace existentielle. Les démocrates se sentent agressés par un Parti républicain perçu comme un mouvement antidémocratique, cynique, autoritariste, représentant d’un monde en voie disparition: celui du suprématisme blanc, fondamentalement raciste, minoritaire et prêt à fausser le jeu électoral pour rester au pouvoir.

Les républicains ont la certitude de défendre la civilisation face aux «élites côtières», des privilégiés irresponsables, méprisant les valeurs américaines et déterminés à imposer leurs folles idées sociétales, abolissant les différences sexuelles, pratiquant un racisme à rebours, flétrissant le drapeau, détruisant la famille, censurant leurs adversaires avec le soutien des grandes entreprises de la haute technologie, de la finance et des médias.

Entre ces deux visions opposées, le dialogue est devenu pratiquement impossible. La politique américaine s’est transformée en un jeu à somme nulle, où le seul objectif est de barrer la route à l’adversaire. Le Congrès est paralysé par un esprit partisan qui préfère, sauf cas exceptionnels, bloquer les lois plutôt que d’accepter le moindre compromis. Le président, contraint de gouverner par décrets aussitôt annulés par son successeur, est devenu largement impuissant. Le troisième pouvoir, celui de la Cour suprême, est devenu un acteur politique à part entière.

Dominée par les conservateurs depuis les trois nominations faites par Trump, la cour est largement sortie de son rôle traditionnel d’arbitre, prenant ces dernières semaines une série de décisions radicales. Mettant fin aux protections constitutionnelles de l’avortement, renforçant celles autorisant le port d’armes à feu, réduisant la capacité de l’administration fédérale à réglementer la pollution ou à imposer certaines mesures sur l’immigration, ces arrêts hautement politiques ont encore accru la cassure entre États bleus et États rouges.

Celui sur l’avortement a été le plus retentissant. En rendant aux États le droit de légiférer comme ils l’entendent sur cette pratique, la fin de l’arrêt «Roe vs Wade» a fait émerger presque immédiatement deux légalités distinctes. Seize États ont aussitôt voté ou remis en vigueur des lois restreignant parfois totalement l’accès à l’avortement. Une vingtaine d’autres ont annoncé qu’ils entendaient protéger ce droit, parfois sans limites. Les trois États de la côte Ouest – la Californie, l’Oregon et l’État de Washington – ont même créé un bloc territorial où cette pratique sera garantie. La cour a précisé qu’il était inconstitutionnel de poursuivre les personnes allant avorter dans un autre État. Ce qui n’a pas empêché certains États, comme celui du Texas, de voter des lois dans ce sens.

Sur la question sensible des armes à feu, la cour a pris une décision inverse, enlevant aux États le droit de restreindre le 2e amendement de la Constitution. Interprétée au sens large par la cour, comme donnant le droit à n’importe quel citoyen de porter une arme sur la voie publique, y compris des fusils semi-automatiques, cette décision a ulcéré les démocrates. De nombreux États bleus, où la détention d’armes à feu est soumise à des règles parfois draconiennes, se sont mis à étudier des moyens législatifs de maintenir ces limites en contournant l’arrêt de la Cour suprême.

La cour a aussi limité la capacité de l’administration à réglementer les industries polluantes, et celle des États à restreindre les pratiques religieuses dans les écoles.

Campagnes de censure

Chaque question de société devient aussitôt le champ de bataille d’une guerre culturelle permanente. L’idéologie woke (signifiant à l’origine «être attentif au racisme»), cultivée dans les universités américaines et qui se répand, depuis, dans le reste de la société, a ouvert des nouveaux fronts dans l’éducation, les médias et les entreprises. Les États bleus imposent en son nom de nouvelles théories destinées à lutter contre le racisme ou l’homophobie. La théorie critique de la race, qui décrit le projet national américain et son système politique comme fondamentalement et irrémédiablement racistes, est intégrée au cursus des écoles publiques. Les théories du genre, visant à lutter contre l’homophobie en rejetant la norme du couple hétérosexuel comme base de la cellule familiale, sont enseignées dans les classes, parfois de primaire.

Les livres qui ne répondent pas à leurs nouveaux critères sont condamnés sans appel. Les enseignants et les personnalités qui enfreignent le dogme sont l’objet de campagnes de censure sans merci. En réaction, les États rouges ont adopté des lois pour interdire ou limiter ces thématiques dans les établissements scolaires, et retirer à leur tour des bibliothèques les ouvrages qui les diffusent.

La question des transgenres, dont le nombre a doublé depuis 2017, selon un rapport récent, atteignant jusqu’à 1,4 % des jeunes gens de 13 à 24 ans, est aussi devenue un sujet politique. Une vingtaine d’États interdisent leur participation aux compétitions sportives, ou les traitements médicaux destinés au changement de sexe.

De réactions en surenchères, deux systèmes légaux alternatifs se développent ainsi rapidement aux États-Unis, remettant en cause l’unité législative du pays. Chaque Américain vit selon des règles de plus en plus différentes selon l’État dans lequel il habite. «Les années 2020 pourraient voir une érosion dramatique des droits nationaux communs et un fossé grandissant entre les libertés des Américains dans les États bleus et ceux dans les États rouges», a mis récemment en garde l’essayiste Ronald Brownstein dans le magazine The Atlantic.

Le débat sur les «droits des États» au sein de l’Union remonte à la fondation du pays. Il a ressurgi avec la question de l’esclavage au XIXesiècle, puis de la ségrégation au XXe siècle. Il est de nouveau ouvert.

Dans cette course à la désunion nationale, les républicains ont l’avantage. Même s’ils sont légèrement minoritaires en termes de population, le système fédéral joue en leur faveur, en accordant plus de représentation aux États ruraux. Les républicains ont aussi investi au cours des dernières décennies les élections locales, pendant que les démocrates se focalisaient sur le pouvoir fédéral. Ils contrôlent ainsi 30 législatures contre 17 pour les démocrates. Ils occupent les postes de gouverneur dans 23 États dont ils détiennent la majorité parlementaire, et dans cinq États aux législatures démocrates.

Les bastions républicains comprennent les anciens États confédérés du Sud, auxquels s’ajoutent de nombreux Etats du Midwestet des Rocheuses. Méfiants vis-à-vis du pouvoir fédéral, particulièrement quand il est aux mains des démocrates, ils rejettent ou contournent les lois qui ne leur conviennent pas. La Floride et le Texas servent d’exemple à cette Amérique rouge.

La Floride, qui a été longtemps un État pivot disputé entre les deux partis, penche désormais pour le conservatisme. Son gouverneur, Ron DeSantis, l’a surnommé l’État libre de Floride. Il s’enorgueillit d’avoir résisté aux mesures de confinement préconisées au niveau fédéral au début de la pandémie de Covid-19.

Le Texas et son gouverneur Greg Abbott sont l’autre modèle. L’un des États les plus vastes, les plus riches et les plus peuplés des États-Unis, fier de son identité et de sa brève indépendance avant de rejoindre l’Union, le Texas a été le premier à remettre en cause l’avortement, en adoptant en 2021 une loi spécialement rédigée pour contourner les arrêts fédéraux. Il a aussi adopté une autre législation «sanctuarisant»le 2e amendement, interdisant à toute agence ou représentant de l’État d’appliquer des lois fédérales sur le contrôle des armes à feu. Cette législation a été imitée depuis par le Missouri et l’Arizona.

A suivre …

Adrien Jaulmes pour Le Figaro.

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Une réponse à “Etats-Unis : la grande fracture idéologique (2/3)”

  1. D’un cote les gens normaux ( les republicains ), de l’autre les dingues, ( les conservateur = goche ).

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