Ghosn-Nissan, et si tout ça était la faute de Macron ?

Publié par le 9 Jan, 2020 dans Blog | 0 commentaire

Ghosn-Nissan, et si tout ça était la faute de Macron ?

Il n’était pas encore Jupiter mais il tirait déjà les ficelles au ministère de l’économie !

Les politiques français ne sont déjà pas des flèches en économie, mais quand ils se mêlent de politique industrielle, c’est là qu’ils commettent le plus de dégâts.

Et dans ce domaine, Emmanuel Macron n’est pas en reste et a déjà quelques fleurons de l’industrie française, comme Alstom, à son palmarès d’exterminateur.

Il est en passe de se surpasser avec l’alliance Renault – Nissan tombée en bien mauvaise posture depuis l’affaire Carlos Ghosn.

Jean Nouailhac, dans Le Point, nous raconte toute la genèse de cette histoire qui vient de rebondir avec l’évasion spectaculaire de Carlos Ghosn des griffes de la « justice » japonaise :

Macron vs Ghosn : un match de géants

Et si le point de départ de la tragédie Renault remontait à avril 2015 et au début du bras de fer entre son PDG et Emmanuel Macron ?

De nombreux observateurs économiques et analystes financiers internationaux ont compris qu’un match brutal et dangereux venait de commencer cette semaine-là entre le ministre français de l’Économie et le PDG du groupe Renault-Nissan, aux conséquences potentielles incalculables. Une partie de bras de fer entre un jeune et brillant énarque de 37 ans, ministre depuis quelques mois, Emmanuel Macron, couvé par un président, François Hollande, alors éperdu d’admiration pour lui, et un polytechnicien expérimenté de 60 ans, Carlos Ghosn, équipé d’un cerveau exceptionnel et d’un cuir solide avec un champ de tir qui n’était plus seulement l’Hexagone mais la planète entière. Cette première semaine d’avril 2015 restera effectivement dans les annales comme le point de départ d’une tragédie inouïe et imprévisible : l’effondrement brutal, inédit et spectaculaire d’une entreprise française moyenne devenue la première mondiale dans l’industrie automobile. C’est une histoire complexe et passionnante. La voici à grands traits.

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Carlos Ghosn n’a jamais eu d’attirance particulière pour les ministres et les présidents français, trop étatistes à son goût et trop interventionnistes avec leurs diktats parfois intempestifs, ne connaissant rien du marché mondial de l’automobile mais voulant toujours lui donner des leçons de conduite comme l’empêcher de fermer des ateliers devenus obsolètes ou de procéder à des réductions de personnel pourtant largement justifiées et indispensables à la bonne gestion d’une entreprise cotée en Bourse. Du moins gardait-il pour lui ses appréciations et ses jugements peu amènes sur la classe politique hexagonale.

Emmanuel Macron, lui, fait une fixation sur la rémunération du président de Renault-Nissan, qu’il trouve exorbitante, et n’hésite pas à le faire savoir. Ne pouvant obtenir du seul Renault les 15 millions d’euros annuels qu’il estime valoir – les PDG des plus grandes compagnies internationales étant encore mieux payés dans ce marché mondialisé –, Carlos Ghosn avait réussi à convaincre ses deux conseils d’administration à Paris et à Tokyo d’en partager la charge globale. C’est ainsi qu’il gagnait environ 7 millions par an chez Renault et 8 ou 9 chez Nissan, le tiers en salaires bruts et les deux tiers en stock-options.

Raid de l’État français

Le jeune ministre, qui se focalise de plus en plus sur cette question, toujours sensible en France en dépit du matraquage fiscal éhonté auquel les patrons de ces grandes entreprises sont soumis depuis l’arrivée de François Hollande au pouvoir au point pour certains de vouloir s’exiler, décide de faire plier de gré ou de force le conseil d’administration de Renault et de l’obliger à réduire la rémunération française du PDG. Pour cela, il va appliquer un dispositif méconnu de la nouvelle loi Florange, laquelle avait pour but principal d’empêcher des OPA hostiles sur des entreprises cotées en Bourse et considérées comme stratégiques en termes d’emplois. Ce dispositif secondaire, destiné à écarter les spéculateurs convulsifs, accorde des droits de vote double aux actionnaires détenant leurs actions depuis au moins deux ans, ce qui est contraire à l’éthique boursière – une action égale une voix –, mais il peut être rejeté par les actionnaires à la majorité qualifiée des deux tiers des votes en assemblée générale.

Emmanuel Macron ne détient que 15 % des voix, la part officielle de l’État. En appliquant les droits de vote double à ces 15 %, il peut se retrouver à 30 %, pas assez pour contrer l’assemblée des actionnaires. Qu’à cela ne tienne ! L’ancien banquier d’affaires décide alors de faire acheter en douce par Bercy, sans en avertir le président de Renault, près de 5 % du capital de l’entreprise pendant les premiers jours du mois d’avril 2015. Une opération boursière sauvage que ne renierait pas un spéculateur des bas-fonds de Wall Street. Coût de cette opération commando : 1,2 milliard d’euros d’argent public. Un raid de l’État français tel qu’on n’en avait jamais vu à la Bourse de Paris et qu’on n’a pas revu depuis.

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Menaces japonaises

Résultat immédiat : une véritable humiliation pour Carlos Ghosn, que Macron ne préviendra au téléphone que la veille du communiqué de presse aux médias. Résultat secondaire, pire encore : les Japonais vont très mal prendre ce coup de force de l’État français. Or les deux entreprises sont imbriquées l’une dans l’autre. Renault détient 43,4 % de Nissan et Nissan, 15 % de Renault, mais sans droits de vote. Les Français contrôlent en principe les Japonais, mais les deux entités ont le même PDG, lequel a mis en place depuis longtemps une « alliance Renault-Nissan » avec une large délégation de pouvoir accordée aux Japonais, très sourcilleux sur ce point. Et, comme Nissan est deux fois plus gros que Renault et beaucoup plus profitable grâce à Carlos Ghosn, tout le monde était content jusqu’alors… sauf Emmanuel Macron !

Les Japonais menacent de prendre des mesures de rétorsion – acheter, par exemple, 25 % du capital de Renault – au risque de faire exploser l’alliance entre les deux compagnies, et exigent que leur indépendance vis-à-vis des Français soit renégociée et gravée dans le marbre. C’est alors que Macron ne trouve rien de mieux que d’écarter Carlos Ghosn de ces négociations – une nouvelle humiliation publique infligée par le jeune ministre au président de Renault –, préférant envoyer à Tokyo une délégation animée par l’un de ses proches, Martin Vial, un pilier de Bercy, par ailleurs mari de Florence Parly, la future ministre des Armées du futur président.

Les Japonais vont alors obtenir tout ce qu’ils demandent, c’est-à-dire une indépendance quasi totale, et un accord est signé fin 2015 entre les deux parties. Renault perd gros dans l’affaire et se contentera d’encaisser la part qui lui revient des bénéfices que Nissan dégagera. Ayant été écarté des négociations finales et donc désavoué par son actionnaire principal à Paris, Carlos Ghosn a perdu une grande partie de son aura auprès des Japonais, qui sauront en tenir compte par la suite.

Coup de théâtre

Nous en arrivons à l’assemblée générale du printemps 2016. Chauffés à blanc par Bercy, qui use et abuse de toutes les ficelles, dont ces fameux droits de vote double, les actionnaires s’opposent à 54 % à la rémunération prévue pour leur PDG, la même que l’année précédente. Un nouveau coup de théâtre se produit alors : le conseil d’administration rappelle que, ce vote des actionnaires n’étant que consultatif, il décide de ne pas s’y soumettre et confirme sa proposition d’accorder à Carlos Ghosn ses 7 millions d’euros, 3 millions en salaires et 4 millions en « actions de performance », la nouvelle dénomination française des stock-options. Cette fois, dans la partie de bras de fer, c’est le ministre qui perd la manche.

Pour les administrateurs de Renault, que l’on peut comprendre, il était hors de question de reculer : les performances de leur PDG sont en effet impressionnantes, Renault ayant atteint avec deux ans d’avance son objectif de marge opérationnelle de 5 % et son bénéfice ayant augmenté de 48 % en un an ! Le résultat net du groupe Renault-Nissan s’affiche ainsi pour l’exercice 2015 à un niveau historique : 2,96 milliards d’euros.

Pour le ministre de l’Économie, c’en est trop ! « Il est PDG, pas actionnaire », déclare-t-il dans une interview aux Échos. Devant l’Assemblée nationale, il parle de « dysfonctionnement en matière de gouvernance » chez Renault et menace de « légiférer » sur cette question des rémunérations beaucoup trop élevées des grands patrons du CAC40, précisant bien : « Nous demandons très clairement à Carlos Ghosn et au conseil de prendre leurs responsabilités. »

Il s’est évidemment trouvé une ribambelle de syndicalistes et de politiciens pour lever l’étendard de la révolte populaire devant les millions des PDG du CAC40 en général et de Carlos Ghosn en particulier, et tenter de se valoriser à peu de frais dans les médias habituels. Passons… En revanche, côté Ghosn, aucune réaction, silence complet… jusqu’à ce que la presse de Tokyo nous annonce qu’il était au Japon en train de mener une négociation secrète avec le PDG de Mitsubishi Motors. Et, effectivement, on apprenait le 12 mai 2016 que Nissan allait prendre le contrôle de son concurrent japonais en achetant dans un premier temps 34 % de son capital pour moins de 2 milliards d’euros. Une magistrale opération menée de main de maître par le PDG de Renault.

Carré d’as de l’automobile

Le nouvel ensemble Renault-Nissan-Mitsubishi va ainsi se hisser dans le carré d’as de l’industrie automobile mondiale avec 9,59 millions de voitures vendues, au coude à coude avec Toyota (10,15), Volkswagen (9,93) et General Motors (9,84). Entré chez Renault en 1996, après dix-huit années chez Michelin, Carlos Ghosn va pouvoir fêter dignement ses vingt ans de maison. À la tête d’un groupe de classe mondiale qu’il a constitué avec un immense talent d’entrepreneur et une énorme ténacité, il est alors en mesure de présenter à son jeune ministre énervé la nouvelle fiche d’identité de son entreprise : près de 200 000 salariés (dont 50 000 en France), plus de 150 milliards d’euros de chiffre d’affaires, 100 usines, 10 millions de voitures (dont seulement 2,8 millions pour Renault). En attendant mieux…

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Les bénéfices de Renault vont s’envoler comme jamais : après avoir dégagé un bénéfice net consolidé de 2,96 milliards d’euros en 2015 (dont 1,97 milliard venant de Nissan), les actionnaires vont enregistrer ensuite 3,5 milliards de bénéfices en 2016 (dont 1,7 en provenance du Japon), 5,3 milliards en 2017 (dont 2,8) et 3,5 milliards en 2018 (dont 1,5). Au total, 15 milliards d’euros en quatre ans !

Qui peut croire, à propos d’un homme capable de réaliser de tels prodiges, un capitaine d’industrie manifestement hors du commun, qu’on puisse lui mégoter quelques millions d’euros ? À moins de vouloir le pousser vers la sortie, ce qui constituerait une perte irréparable, qui peut même se croire autorisé à donner des leçons de morale à un tel phénomène ? Un syndicaliste obtus ? Un politicien borné ? Un jeune ministre énervé ? En France, apparemment, c’est possible. Il est vrai qu’on y marche souvent sur la tête …

Tremblement de terre

Mais l’histoire n’est pas finie. Le pire va bientôt se produire. Emmanuel Macron est devenu président de la République au printemps 2017 et, cette année-là, Carlos Ghosn, au sommet de sa vie professionnelle – le groupe Renault est devenu numéro un mondial au premier semestre –, débarque à Paris le 15 septembre avec les 200 plus hauts cadres des 3 composantes du groupe, Renault, Nissan et Mitsubishi, pour présenter son « plan stratégique 2022 ». Comme un pied de nez à son ex-ministre devenu président, il s’agit d’un plan sur cinq ans, un quinquennat, donc, jusqu’en 2022, comme l’autre, avec l’objectif de faire passer les ventes du groupe de 10,5 millions d’unités prévues en 2017 à 14 millions en 2022 et de réaliser un chiffre d’affaires planétaire de plus de 200 milliards d’euros.

Quand l’année suivante commence, en février 2018, il y a du nouveau dans les relations entre l’État français et Carlos Ghosn, qui a fini par accepter une diminution de salaire. Le nouveau ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, un autre distingué énarque tout aussi étatiste que son président, se fait un plaisir d’annoncer à la presse que « l’État a voté la rémunération de Carlos Ghosn puisque Carlos Ghosn a accepté une diminution de son salaire de 30 % ». L’intéressé, de son côté, qui prépare sa retraite – il aura 65 ans en mars 2019 –, nomme enfin un numéro deux, Thierry Bolloré, comme directeur général adjoint.

Les relations sont donc apaisées avec l’exécutif français, mais, du côté du Japon, en revanche, on complote dans l’ombre. Les cadres dirigeants de Nissan et le pouvoir exécutif japonais n’ont jamais accepté l’opération des droits de vote double, considérée comme un coup de poignard dans leur dos. « La tectonique des plaques, écrit Marie Bordet dans Le Point , a repris son activité dans l’alliance, elle annonce un tremblement de terre. » On connaît la suite. Le tremblement de terre s’est déchaîné avec les conséquences que l’on connaît et il n’est pas sûr que tout cela soit à l’honneur de l’État français et de sa haute fonction publique qui administre le pays depuis trop longtemps en dépit du bon sens.

Jean Nouailhac pour Le Point.

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