Le Québécois qui ébranle la bien-pensance (2/3)

Publié par le 10 Mai, 2019 dans Blog | 0 commentaire

Le Québécois qui ébranle la bien-pensance (2/3)

Après un premier article de Laurent Dandrieu paru dans Valeurs actuelles, présentant le Québécois Mathieu Bock-Côté, voici son interview dans le même magazine.

Je vous recommande la lecture de cette très longue interview, que je me suis interdit de tronquer tant elle est dense, pertinente et très éclairante sur le paysage politique français.

Dans la vie, on croise parfois des personnes qui ont la faculté de vous donner des clefs pour consolider votre acquis au fil des ans, en restructurant votre pensée. C’est le cas de Mathieu Bock-Côté qui nous éclaire sur les méthodes coercitives utilisées par les progressistes pour imposer leur idéologie déconstructrice. La gauche sort laminée de sa démonstration mais la droite en sort sonnée par les preuves de sa lâcheté. Le centre droit avec Juppé et ses affidés voient sa responsabilité clairement établie dans son désir de se faire accepter par l’intelligentsia.

Je vous livre donc cette interview en deux parties :

Première partie

Dans un entretien à Valeurs actuelles, Mathieu Bock-Côté démonte les mécanismes qui ont permis le triomphe de cette idéologie victimaire visant à la déconstruction des sociétés occidentales. Et prédit la revanche du réel, qui ne saurait être ignoré indéfiniment.

Le politiquement correct est devenu un mot passe-partout, qu’on met à toutes les sauces: comment le définir ?

Le terme est apparu à la fin des années 1980 pour désigner la survalorisation des revendications des minorités victimaires se définissant à travers le procès de l’homme blanc hétérosexuel dont il faudrait contester l’hégémonie. Résumé en une formule, le politiquement correct consistait à sacraliser les minorités et à dévaloriser systématiquement la majorité.

Avec le temps, le politiquement correct est devenu un dispositif inhibiteur qui sert à exclure de l’espace public d’une manière ou d’une autre, par la pathologisation, la diabolisation ou la disqualification morale, ceux qui contredisent directement ou indirectement l’idéologie diversitaire, l’immigration massive, le multiculturalisme, un certain féminisme obligatoire à prétention intersectionnelle … bref, tout le discours qui relève en fait de la critique radicale de la civilisation occidentale, qui devrait se dissoudre pour expier ses péchés.

Le politiquement correct sert à exclure, parfois avant même de les avoir entendus, ceux qui contredisent cette idéologie, à les transformer en infréquentables, en parias. C’est le système de défense du régime diversitaire qui lui permet d’ostraciser médiatiquement, politiquement et demain peut-être juridiquement ses contradicteurs.

Selon quels procédés ?

Voyez la multiplication des termes en « phobie ». Dès lors que l’on veut délégitimer une idée, on la transforme en phobie, ce qui la fait passer du domaine politique au domaine psychiatrique. Car on ne débat pas avec un « phobe », à la rigueur on le fait soigner. En phobisant un adversaire, on l’exclut du champ de la rationalité et même de la santé mentale. Autre exemple, l’extension fascinante de la définition du racisme pour désigner une série de phénomènes qui historiquement relevaient de tout autre chose.

Qu’il s’agisse du plaidoyer pour l’assimilation nationale et républicaine, de la critique de l’immigration massive ou de celle du multiculturalisme, l’idéologie diversitaire a tendance à y voir du racisme et la peur de se voir coller cette étiquette pousse bien des intellectuels et des politiques à se taire ou, du moins, à euphémiser leur réflexion, dans l’espoir de passer sous le radar et d’éviter les polémiques.

De ce point de vue, le politiquement correct est une machine qui ne cesse de s’étendre. Le sentiment qu’il est de plus en plus difficile d’exprimer un désaccord sans être voué aux gémonies alimente une frustration politique indéniable.

C’est pourquoi le politiquement correct me semble être l’un des carburants qui alimentent ce qu’on s’obstine à appeler le populisme sans jamais vraiment le définir.

Vous dites que le politiquement correct consiste à encadrer le débat autour de « codes de respectabilité » qui permettent d’en exclure ceux qui ne les respectent pas. Quels sont ces codes et qui les impose ?

D’abord, il faut refuser toute perspective conspirationniste. Nous sommes plutôt devant une idéologie qui se déploie en instaurant une petite Terreur. La peur d’être exclu du débat public ou plus encore celle de la mort sociale, engendre une autocensure de plus en plus efficace. Les contrôleurs de la circulation idéologique qui patrouillent l’espace public vont essayer de coincer politiques ou intellectuels pour dérapage et de mieux les enfermer dans un mauvais rôle.

Et qu’est-ce qu’un dérapage sinon l’aveu qu’il existe une ligne tracée dont on ne peut s’éloigner sans se faire coller une contravention idéologique ?

À certains égards, mon ouvrage relève de la sociologie de l’étiquetage médiatique, discipline qui me paraît indispensable pour comprendre comment, dans sa configuration même, l’espace public donne à l’avance raison ou tort à certains avant même que le débat ait commencé.

Quelles sont les étiquettes qui vous paraissent les plus révélatrices ?

La pire est évidemment « proche de l’extrême droite » sans qu’on prenne vraiment la peine de définir cette dernière. Cette étiquette marque du sceau du soupçon celui à qui on l’accole. « Nauséabond » entre dans la même logique: l’adversaire est alors présenté comme un monstre aux idées à ce point pestilentielles qu’il faudrait le tenir à bonne distance pour éviter la contamination. Nul besoin de discuter avec lui: il suffit de le renifler. Il y a aussi l’expression faussement neutre de « polémiste »: qu’est-ce qu’un polémiste, sinon un querelleur compulsif, qui provoque pour provoquer ? Réduire l’essayiste au polémiste consiste à transformer sa réflexion en simple positionnement médiatique ou en coup de colère sans intérêt. « Controversé » est un autre terme caractéristique. Ainsi, quand on entend « Je reçois le très controversé M. Z. », on a envie de rétorquer: « Mais controversé auprès de qui ? »

Ces étiquettes ne font même plus semblant d’être en rapport avec le réel, comme lorsqu’une ministre a dit de François-Xavier Bellamy qu’il n’était pas républicain …

Le politiquement correct peut devenir ubuesque. Il bascule dans un rituel d’excommunication politico-médiatique qui fonctionne selon sa propre logique, sans que le réel s’en mêle. Mais allons plus loin. On connaît la position de Bellamy sur l’IVG, mais il prend la peine de préciser que c’est une conviction personnelle qu’il ne traduira pas politiquement. Ensuite, alors qu’il espère pouvoir parler de son programme, le système médiatique ne lui oppose plus que cela, pour finalement l’accuser d’être obsédé par la question. On est là devant une sorte de déploiement orwellien du système médiatique, qui construit le personnage dont il a besoin pour mettre en scène une séance d’ostracisme et rappeler le prix à payer si on exprime des idées jugées transgressives.

Le paradoxe, c’est que pour exclure il faut être en position dominante: or le politiquement correct est une idéologie au service de minorités …

Le politiquement correct est moins au service des minorités qu’au service des idéologues qui prétendent les représenter sans jamais leur en demander la permission et qui veulent s’appuyer sur elles pour déconstruire toute forme de norme commune inscrite dans la continuité occidentale. C’est ainsi qu’on s’inscrit dans la vie démocratique aujourd’hui: il s’agit de se présenter comme une victime systémique de la civilisation occidentale pour gagner une position de surplomb dans l’espace public.

Inversement, sur le plan symbolique, la majorité est aujourd’hui délégitimée: le procès de la nation, de la transmission culturelle, de la civilisation occidentale est mené depuis plus de cinquante ans. La dénonciation rituelle du mâle blanc de plus de 50 ans semble aller de soi depuis quelques années, sans qu’on l’assimile jamais au racisme ou au sexisme. Lui, on peu le vomir. Cela dit, le commun des mortels s’enthousiasme peu à l’idée de se faire déconstruire. Voila pourquoi le système médiatique se donne une mission pédagogique vis-à-vis de la population pour la rééduquer, faire évoluer les mentalités et faire en sorte que le peuple ne se pense plus tel qu’il se pense et ne pense plus comme il pense. Le rêve de nos progressistes, c’est de fabriquer un nouveau peuple qui serait étranger à l’identité historique de la nation, dans laquelle il ne verrait plus qu’un stock de préjugés irrationnels dont il se serait heureusement délivré.

L’antiracisme et le décolonialisme paraissent emblématiques de cette prise de pouvoir du débat public par l’intimidation d’une minorité agissante …

Absolument. Les association qui portent ces idéologies ne représentent pas grand monde, mais leur idéologie domine l’université. Les sciences sociales sont devenues militantes et plus elles sont militantes plus elles se prétendent scientifiques ! Nous sommes passés du marxisme scientifique des années 1960-1970 à la science diversitaire. Et dans le système médiatique, on sélectionne alors souvent tel ou tel intellectuel en fonction de sa capacité à présenter comme scientifique l’idéologie du jour, même la plus farfelue. Par exemple, que l’homme et la femme n’existent pas et qu’il y a cinquante nuances de genres serait une évidence née d’études scientifiques.

Il en est de même quand on cherche à faire de la fluidité identitaire une nouvelle norme de définition de l’identité sexuelle, en transformant en un improbable cisgenre l’homme qui se sait homme et la femme qui se sait femme. Si vous croyez le contraire, c’est-à-dire si vous vous fiez à l’expérience plurimillénaire de l’humanité, vous ne faites que relayer les préjugés d’une société patriarcale.

Cette logique veut concasser toute forme de système normatif et de continuité civilisationnelle: c’est un travail qui est infini. À partir du moment où, au nom de la diversité, chaque nouvelle préférence se voit transformée en catégorie identitaire qui doit être reconnue comme telle sans quoi on va créer une nouvelle phobie pour dénoncer le fait qu’on ne la reconnaisse pas, on met en marche un processus qui n’a pas de fin. On pousse toujours plus loin l’accusation de racisme, de sexisme et d’homophobie, comme si ces termes en venaient à définir tout l’héritage de notre civilisation. L’homme ordinaire paraphrasera Obélix: « Ils sont fous ces progressistes. » Mais les fanatiques qui portent cela ne sont pas enclins à la rigolade. Les intellectuels conservateurs doivent donc prendre au sérieux les théories radicales les plus loufoques, car elles auront le culot de se présenter demain comme des avancées scientifiques. C’est la nouvelle ruse du progressisme que de se nier comme idéologie pour se présenter comme un savoir indispensable.

Le cas Zemmour pose une question: comment le politiquement correct organise-t-il une apparence de pluralisme ?

Éric Zemmour a su incarner au coeur du système médiatique la fonction tribunitienne, une parole qui n’existait jusque-là que dans les marges, même si elle était très présente dans la population. Il a su incarner au coeur même du système médiatique la révolte contre ce dernier, en dévoilant sa dynamique idéologique. Le système médiatique a tout fait pour le transformer en monstre et provoquer sa mort sociale: avec son talent, ses convictions, son courage, il a su ébranler une caste habituée à l’entre-soi et aux conservateurs tièdes vaincus d’avance.

Mais il suffit qu’un intellectuel conservateur surgisse dans les médias pour que les progressistes se sentent soudainement submergés. La gauche a été si longtemps dominante qu’il lui suffit aujourd’hui d’être critiquée pour se sentir assiégée, tandis que la droite a été si longtemps dominée qu’il lui suffit d’être entendue pour se croire dominante. C’est un double quiproquo: la gauche est contestée, elle se croit à la veille de l’effondrement; la droite a quelques représentants dans un milieu qui lui demeure très largement hostile, elle se croit à l’aube de la victoire !

Certes, il y a quelques conservateurs dans l’espace public, mais ils sont obligés de se justifier d’être là. Le système médiatique a élu quelques figures qui jouent le rôle du méchant de service et régulièrement on se demande si on leur donne trop la parole. Imagine-t-on la question inverse ? Les progressistes n’ont-ils pas trop la parole dans l’espace public ? Faut-il donner la parole aux féministes ? Il ne viendrait à personne l’idée de poser de telles questions.

Propos recueillis par Anne-Laure Debaecker et Laurent Dandrieu pour Valeurs actuelles.

Suite et fin de l’interview dans un prochain article.

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