Il ne faut malheureusement pas attendre des politiciens de droite des explications cohérentes de la faillite de la droite. Et encore moins des solutions pour la sauver !
Un bon nombre sont déjà partis à la soupe des marcheurs et beaucoup d’autres plaident pour refaire l’union de la droite et du centre alors que Macron l’a déjà en partie réalisée.
Les seules réflexions intéressantes viennent actuellement de personnalités en marge de la politique ou provisoirement retirées du combat politique. Très récemment, Marion Maréchal a apporté un regard neuf sur le conservatisme en pointant le vrai clivage qu’a institué Macron : libéralisme contre conservatisme.
Je vous propose ici l’intervention d’un autre connaisseur de la droite française, l’ancien conseiller politique de Nicolas Sarkozy, Patrick Buisson. Faites comme moi. Passez outre votre rejet de cet homme très controversé mais qui livre aujourd’hui un diagnostic froid et lucide sur la décomposition du paysage politique. Il travaille aujourd’hui, aux côtés d’Eric Zemmour, à la définition d’une plateforme doctrinale pour la droite, première étape en vue d’offrir une alternative au duel Macron – Le Pen qu’on nous assure inéluctable pour 2022.
Voici d’abord la transcription de l’interview qu’a donnée Patrick Buisson à LCI, suivie de la vidéo de l’interview :
Un nouveau clivage
Le vrai clivage, aujourd’hui, est entre libéraux et anti-libéraux et il passe à l’intérieur de chacun des camps. Sauf chez Emmanuel Macron qui fait le rassemblement des bourgeoisie de droite et de gauche. Il est le seul à l’abri de cette fracture.
De la rupture entre le peuple et les élites à la crise de légitimité
Un grand quotidien titrait à la une : « Edouard Philippe renforcé, va relancer les réformes ! » Ce titre illustre parfaitement la faille spatio-temporelle qui existe entre la pensée élitaire et le ressenti populaire. Car le commentaire que je pourrais faire sur le résultats des élections européennes – on a beau tourner les chiffres dans tous les sens – la République en marche a mobilisé un électeur sur dix ! Et lorsque l’on rassemble tous les partis du bloc central, ceux qui ont gouverné la France depuis 50 ans, Républicains, Socialistes, République en marche, on arrive à moins d’un Français sur 5 !
Ce n’est pas une crise de la représentation mais une crise de la légitimité. Notre démocratie est malade parce que son mode de légitimation ne fonctionne plus parce que les partis de gouvernement de réunit plus qu’un Français sur cinq. Ça a d’ailleurs été l’un des aspects essentiels du mouvement des Gilets jaunes. Cette demande de refondation de la démocratie, sur d’autres bases.
La demande de plus de démocratie
Il y a toujours eu, en France, un antagonisme entre la souveraineté parlementaire et la souveraineté populaire. Entre la démocratie gouvernée et la démocratie gouvernante. Aujourd’hui la démocratie gouvernante ne représente plus grand chose. La démocratie représentative, disait Paul Valéry, avant guerre, c’est l’art d’empêcher les gens de se mêler de ce qui les regarde ! C’est un système qui impose non pas la loi du grand nombre, mais la loi du petit nombre.
La revendication des Gilets jaunes, c’était la revendications d’un peuple des mots qui demande plus de démocratie et c’est précisément ce dont ne veulent pas les partis de gouvernements. Pour la raison très simple c’est qu’ils considèrent que s’il y a une intelligence collective, et ils la vendent, lorsqu’il s’agit de représenter les représentants, en revanche cette intelligence collective est en panne dans le cas d’un referendum !
C’est à dire le peuple est stratège et avisé quand il élit Macron et l’Assemblée nationale en juin 2017, mais dangereux et débile quand il réclame le referendum. On ne peut pas traiter les peuples en mineurs. La demande des Gilets jaunes, c’est de réinstituer le peuple français comme sujet politique, acteur et maitre de son destin.
La décomposition politique, à laquelle nous assistons, et qu’a amorcé l’élection d’Emmanuel Macron, et qui n’est pas terminée, n’est simplement que la conséquence d’une désagrégation sociale qui est un mouvement de vaste ampleur, qui dure depuis 50 ans et dont nous sommes en train de cueillir les fruits amers.
être plutôt qu’avoir …
Lors de la crise des Gilets jaunes, j’ai été frappé de voir que de la part des médias et des politiques, on était dans l’estimation des dommages, c’est à dire du manque à gagner, bris de vitrines, perte de chiffre d’affaires, perte de clientèle.
On s’intéressait au manque à gagner, jamais au manque à être !
Et ce manque à être, c’était précisément le ressort du mouvement ! La volonté de restaurer le « commun », comment retrouver les solidarités perdues, comment refaire nation, comment refaire société. Sur la base de ce qui était le ciment de la vieille société française, entraide, solidarité, fraternité. C’était ça sur les ronds-points ! Ce n’était pas les idiots du village global. C’était l’avant-garde de la demande de refondation et de restauration du « local », à base d’esprit communautaire !
Et il y a un fait qui ne vous a pas échappé ! Pour la première fois, le mouvement social n’était pas pavoisé de drapeaux rouges, mais de drapeaux tricolores et de drapeaux des régions ! Comme si ce peuple se réappropriait la symbolique de la communauté. C’était un mouvement par procuration ! Parti avec 75 % se soutien, il a terminé avec 50 % de soutien.,Donc il représentait vraiment une demande de cette France périphérique.
D’où vient ce mal être ?
Je voudrais mettre le doigt sur un point important : en l’espace de 50 ans, ce sont tous les murs porteurs de notre affection sociétative, de ce qui fondait la société française, l’atelier, le bistrot, l’église, la petite boutique qui sont tombés … Tous ! A cela, on a ajouté l’élévation du niveau d’hétérogénéité de la population française avec une immigration massive. Tout ce qui faisait la cohésion sociale, dans ce pays, a été arasé, éradiqué. Les syndicats, les appareils verticaux, du Parti communiste à l’Eglise, tout ça a été arasé ! Pour laisser l’individu face à lui-même. Toutes les politiques publiques ont fait la promotion de l’individualisme aux dépens de toutes les formes de holisme *
Ces Français qui ont manifesté se sont rendus compte que l’Etat ne les représentait plus en tant que peuple mais ne se préoccupait plus que des individus. C’est le triomphe de l’idéologie des droits de l’homme, de l’individualisation ! La crise politique est une crise sociale ! Une société ne vit que si elle fabrique en permanence du lien !
Sur l’avenir de la droite
Le clivage entre libéraux et anti-libéraux vaut particulièrement pour la droite. Il y a une droite anti-libérale qui privilégie les solidarités collectives et puis il y a une droite libérale, celle qu’est en train d’absorber Macron, qui, elle, met l’accent sur la sociabilité contractuelle. Ce clivage a toujours existé. Cette droite libérale, Mitterrand l’avait très bien définie : « cette droite n’a pas d’idées, elle n’a que des intérêts ! » le syndic des intérêts privés et des catégories sociales qu’elle représente !
Tout le monde nous ressort la vieille classification de René Rémond qui, je crois, s’est complètement trompé ! Cette classification qui liste la droite bonapartiste, la droite orléaniste et la droite légitimiste. L’orléanisme c’est le libéralisme ! Cette droite libérale qui a exercé une domination fonctionnelle sur la droite, est une droite qu’on peut appeler « situationnelle ». Je m’explique : elle est classée à droite mais elle n’est pas ontologiquement de droite. Ce n’est pas parce qu’on la classe à droite qu’elle est de droite. Elle représente effectivement le libéralisme. On pourrait dire la même chose du césaro-bonapartisme, la deuxième droite qui vient plutôt de la gauche jacobine, patriote et centralisatrice. Il y a une antinomie fondamentale avec ce qu’était la droite originelle, c’est à dire la droite anti-libérale. Nicolas Sarkozy avait une fibre libérale mais il a fait campagne sur des thèmes régaliens. Vous reconnaitrez que sur le programme économique, mis à part le « travailler plus pour gagner plus », n’était pas le point dominant de sa campagne.
Entre ces deux droites, il y a une troisième droite qui n’est ni libérale ni anti-libérale. C’est la droite que représentait François-Xavier Bellamy, qui se débat entre un moi libéral et un surmoi conservateur. Ils admettent le libéralisme économique mais pas le libéralisme culturel et sociétal. Le libéralisme, c’est comme le cholestérol, il y a un bon libéralisme et un mauvais libéralisme ! Et bien ça, ça n’existe pas ! En tout cas, électoralement, ça pèse très peu ! On l’a vu aux européennes.
Des forces anti-libérales puissantes
Si on arrive à bien cerner ces différentes sensibilités, on voit qu’à gauche, comme à droite, il y a des forces anti-libérales puissantes. J’entends parler, par certains, de l’union des droites. « Ce qu’il faut faire, c’est 2007 ! » Je réponds pas du tout ! 2007 est totalement dépassé ! L’union des droites est un schéma complètement dépassé ! D’abord parce que le rapport de force entre Jean-Marie Le Pen et Nicolas Sarkozy en 2007 était de 1 à 3 alors qu’aujourd’hui, le rapport est toujours de 1 à 3 mais au profit du Rassemblement national. Il y a un changement de paysage total. Ce n’est pas le candidat des Républicains qui peut réaliser cette union des droites, et alors on bloque immédiatement sur Marine Le Pen.
Si on veut construire une force d’alternance à Macron, la difficulté, c’est qu’on ne peut pas le faire avec Marine Le Pen comme tête d’affiche mais qu’on ne peut pas le faire sans elle puisque c’est la principale force à droite de Macron. Il faut chercher ailleurs ! L’union des droites peut être l’élément d’un projet d’alternance, mais certainement pas l’axe stratégique. Marion Maréchal a une audience sociologique qui recoupe celle de François-Xavier Bellamy, soit un tiers de ce que pèse Marie Le Pen ! Il faut imaginer autre chose. La force d’alternance pour réunir les populismes de droite et de gauche, les souverainistes de droite et les souverainistes de gauche, ça a déjà existé dans notre histoire. Le revirement des alliances, il s’est produit dans l’histoire. Juillet 1830, la révolution met en place la monarchie bourgeoise, celle du banquier Laffitte, le libéralisme. Ce régime procède d’une alliance entre le peuple parisien et la bourgeoisie manufacturière. Moins d’un an après, la révolte des Canuts, à Lyon, opère ce renversement d’alliance. Contre le nouvel ordre économique, on voit se liguer le chef de la révolte, Pierre Charnier et le petit peuple des ouvriers de La Croix rousse. On a vu, comme pour le mouvement des Gilets jaunes, converger des forces qui, par définition, pouvaient apparaitre antinomiques. Ce qui les rassemble, c’est l’anti-libéralisme !
Y-a t-il des ponts possibles entre Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen ? Mais Jean-Luc Mélenchon n’est pas propriétaire de son électorat. 99 % des cadres de la France Insoumise cotisent au gauchisme culturel. Mais quand on regarde sur les projets de société, la moitié de l’électorat de Mélenchon n’a pas les positions de Mélenchon sur l’immigration. On le voit dans les reports de voix ! Il faut distinguer les appareils des comportements électoraux qui ne sont pas dictés par les oukases d’appareil.
Une initiative Buisson – Zemmour ?
Oui, nous avons une réflexion avec Eric Zemmour qui porte sur la définition d’une stratégie et d’une plateforme. On ne pose pas le problème de l’incarnation. Le problème de savoir qui portera cette stratégie, viendra après. C’est un projet extrêmement ambitieux mais extraordinairement fragile. Laissons-lui le temps de passer les premiers écueils mais on pense qu’il y a là une initiative à la fois féconde et forte, si nous parvenons à nos fins.
Le but serait alors d’échapper à un second tour Marine Le Pen – Macron !
Voici la vidéo intégrale de l’interview :
Une autre interview de Patrick Buisson, cette fois sur BFMTV :
« Nous sommes dans un climat d’antagonisme de classe qui frise la guerre civile »
– Holisme : Théorie selon laquelle l’homme est un tout indivisible qui ne peut être expliqué par ses différentes composantes (physique, physiologique, psychique) considérées séparément.
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