Denis Tillinac nous a quittés …

Publié par le 27 Sep, 2020 dans Blog | 0 commentaire

Denis Tillinac nous a quittés …

Un an, jour pour jour, après la disparition de son grand ami, Jacques Chirac, Denis Tillinac a tiré sa révérence.

Ce sera ma fierté d’avoir publié nombre de ses chroniques dans ce blog, comme par exemple :

Schiappa collée au mur par Denis Tillinac !
Mais où sont passés les Gaulois ?
Zemmour, pour les plus humbles, il vise la bonne cible !
La tyrannie de la modernité.

Et surtout celui-ci :
Fier d’écrire dans Valeurs actuelles !

Car par les temps qui courent, il en faut du courage pour écrire dans Valeurs actuelles !

J’appréciais beaucoup Denis Tillinac, son calme, sa sérénité dans un monde tourmenté, au travers duquel il traçait sa route bien droite, en homme de ruralité, loin des magouilles et des compromissions du microcosme parisien.

Pour lui rendre un dernier hommage, je reprends une de ses dernières chroniques, justement publiée dans Valeurs actuelles, qui est une réflexion sur la mort et sur la place de plus en plus réduite que nous lui ménageons durant notre vie. Ce qu’il déplorait !

La disparition de nos disparus

Jadis on vivait parmi les défunts. Aujourd’hui, faute d’inclure la mort dans notre conception de la vie, celle-ci n’a plus ni ancrages ni avenir.

Dimanche, l’évêque de notre diocèse a baptisé une nouvelle cloche dans une église de nos campagnes, en présence des autorités municipales : alliance ponctuelle mais réconfortante de la mitre et de l’écharpe tricolore. L’évêque a rappelé la scansion* du temps longtemps orchestrée par la culture catholique et la proximité, jusqu’à l’aube du XX ème siècle, du cimetière et de l’église au milieu du bourg. Les enfants jouaient entre les tombes. On vivait parmi les morts – les siens, ceux des voisins. Chacun savait où s’achèverait son périple ici-bas : sous tel caveau ou telle motte de terre, au plus près de sa parentèle. La relation à la mort était familière. Il en résultait un triple sentiment de contingence, de fatalisme et de liberté qui relativisait les aléas.

Puisqu’on finirait tous à l’horizontale dans cet enclos paisible semé de croix, c’était peu ou prou comme si on y dormait déjà. Alors, quelle importance d’être riche ou pauvre, savant ou ignare, beau ou moche dans cette si brève parenthèse d’existence au regard de l’écoulement des siècles! On croyait un peu, beaucoup ou pas du tout à la résurrection des corps promise par le prêtre au caté et dans ses homélies. Enfer ou paradis ? Cela dépendrait d’un bon vouloir divin sur lequel on manquait d’informations vérifiables.

Ce compagnonnage de tous les jours avec les trépassés n’induisait aucune tristesse; au contraire, il participait d’une vague présomption d’éternité favorisée par les sonnailles des cloches, heure après heure, avec les trois entractes de l’angélus. Vint l’époque où, pour des raisons d’hygiène et de voirie, on expatria la mort dans des cimetières périphériques entourés de murs. Ainsi s’est distendu sinon rompu un lien entre les vivants et l’humble cortège de leurs ancêtres, attesté par la présence de l’église où tout un chacun avait été baptisé, avait convolé, avait transité sous un catafalque noir. Philippe Muray (le XIX ème à travers les âges) puis Richard Millet (la Gloire des Pythre) ont évoqué remarquablement le traumatisme des populations, surtout rurales, lors des transferts des restes de leurs défunts. En les condamnant à l’exil, on se découvrait orphelin d’une mémoire collective. Restaient les cérémonials des obsèques, ordonnées selon un rituel à peu près immuable jusqu’aux années soixante.

Après, on s’est évertué à escamoter la mort, comme l’a décrit Evelyn Waugh (le Cher Disparu). On a maquillé le cadavre et neutralisé son destin dans des funeranums qui se voulaient « cool »- couleurs vives, musique d’ambiance : rien qui trahisse la tragédie du saut dans l’inconnu. La crémation a commencé à prendre le pas sur l’inhumation, en concomitance avec un recul de l’escale à l’église avant l’ultime coup de goupillon au cimetière : symptôme parmi d’autres de l’évolution de la société française décryptée par Jérôme Fourquet (l’Archipel français). La relation à la durée, à la communauté, à l’éternité a perdu de sa substance, la mort sécularisée a accéléré une chute dans l’immanentisme dont nous payons les conséquences en monnaie de désarroi.

La vie que désormais l’on divinise n’a ni ancrages ni avenir, faute d’inclure la mort dans notre conscience d’exister. Elle n’est plus qu’une incidence biologique, à peine un événement. La tradition du pot de chrysanthèmes déposé au cimetière le jour de Toussaint se perd, elle aussi : de plus en plus souvent, les cendres du défunt sont éparpillées par ses proches au gré de son libre désir, dans la mer, dans une forêt, dans un columbarium s’il était du genre casanier. Aucun risque qu’il encombre les neurones en suggérant une forme quelconque de pérennité. De continuité. Aucune traçabilité: le mort moderne est vraiment un disparu au sens propre du terme – ,et tôt ou tard nos cimetières, à l’égal de nos églises, feront l’objet d’une sollicitude d’ordre patrimonial. On visitera les vestiges de cet ancien monde où les vivants n’en finissaient pas de dialoguer avec leurs antécédents.

Dans le nouveau monde, qu’ils soient morts ou vifs, ils sont seuls au monde, dos au mur face à un précipice.

Denis Tillinac pour Valeurs actuelles.

Toutes nos pensées vont à sa famille, à ses proches, et à tous ces gens du terroir, comme il disait, qui vont l’accompagner, nombreux, vers sa dernière demeure … A l’ancienne !

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