Excusez-moi, si je reviens encore sur la Justice !
Après mes deux précédents articles concernant l’espionnage des ténors du Barreau parisien :
– France, ta justice fout le camp !
– Faut-il dissoudre le Parquet National Financier,
je me sens obligé de m’en prendre à nouveau à la justice de notre pays, cette fois-ci à propos de l’affaire Fillon !
Tugdual Denis, l’auteur du livre La vérité sur l’affaire Fillon nous propose, dans Le Club de Valeurs actuelles, une interview de l’ancien magistrat Hervé Lehman qui, lui-même, avait publié un ouvrage consacré à l’affaire Fillon (Le procès Fillon).
Ces deux spécialistes des affaires de justice en général, et de l’affaire Fillon en particulier, se penchent sur l’avis que vient de rendre le Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM) sur la gestion de l’affaire Fillon par le Parquet National Financier.
“Il faut arrêter de parler d’indépendance de la justice” !
Hervé Lehman fustige l’avis du CSM dans le dossier Fillon
Emmanuel Macron avait demandé une enquête après qu’Eliane Houlette, magistrate du Parquet national financier, avait évoqué “des pressions” durant la campagne présidentielle de 2017. Ancien juge d’instruction et auteur du “Procès Fillon”, Hervé Lehman réfute les conclusions émises par le Conseil supérieur de la magistrature et rendues publiques le 16 septembre. Entretien.
Valeurs actuelles : Etes-vous surpris des conclusions du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) publiées hier ? En attendiez-vous quelque chose ?
Hervé Lehman. Le Conseil supérieur de la magistrature a l’air de dire que tout s’est passé normalement dans l’affaire Fillon, mais il faut lire l’avis entre les lignes et en détail.
Ainsi, le parquet général de Paris a adressé au ministère quarante-trois mails sur le dossier Fillon en trois mois. Comment dire autrement que le dossier était suivi à la loupe par le pouvoir politique ?
Et encore, on ne connait pas le nombre de coups de téléphone et de discussions dans les couloirs du palais entre des protagonistes tous nommés par François Hollande et proches de lui (le directeur des affaires criminelles était au cabinet de Lionel Jospin quand la Procureure générale de Paris était à celui de Ségolène Royal).
L’avis explique ensuite qu’il n’y a pas eu de pressions sur le Parquet national financier (PNF) mais que les magistrats de ce parquet ont ressenti des « antagonismes » avec le parquet général comme « vecteurs d’une pression ». C’est un peu comme l’insécurité : il y aurait seulement un sentiment d’insécurité. Là, il y aurait eu un sentiment de pression mais pas vraiment de pression … Mais il est établi que la procureure générale a recommandé en réunion puis par écrit l’ouverture de l’information qui allait permettre la mise en examen de François Fillon avant l’élection présidentielle. Quand votre supérieure hiérarchique vous fait des « recommandations » orales confirmées par écrit, comment ça s’appelle ? Eliane Houlette, elle, a appelé cela des pressions.
Et curieusement, le Conseil supérieur de la magistrature, qui a l’air de dire que tout s’est passé normalement, demande des réformes sur le statut du parquet et les remontées d’information : pourquoi réformer si les magistrats ont pu œuvrer en toute indépendance ?
Le rapport évoque l’indépendance de la justice alors qu’il s’agit du parquet. Comment sortir, en France, de ce leurre ?
Il faut arrêter de parler de « l’indépendance de la justice ». Les juges sont indépendants, ce qui ne veut d’ailleurs pas toujours dire qu’ils sont impartiaux, le parquet ne l’est pas. Les magistrats du parquet sont choisis et nommés par le pouvoir politique, ils l’informent régulièrement sur les affaire sensibles, ils sont hiérarchisés du substitut de base au procureur général qui peut donner des consignes de poursuite. Où y-a-t-il une indépendance dans ce système ?
Faut-il qu’il y ait une indépendance du parquet ? Veut-on que chaque substitut puisse dans son coin appliquer sa propre politique pénale sans rendre de compte à quiconque? Personne ne le veut. Ce que réclame la Conférence nationale des procureurs, c’est le maintien de la hiérarchie mais avec des chefs de parquet indépendants. Mais quelle sera la légitimité de ces procureurs pour appliquer une politique pénale ? Et que faire si le procureur de Lille ne veut pas poursuivre les dealers et celui de Marseille se contente de rappels à la loi pour les violences conjugales ? Quand on parle d’indépendance, il faut aussitôt réfléchir à la question de la légitimité.
En réalité ce n’est que dans les affaires politiques que la hiérarchisation du parquet pose problème, parce que le ministre de la Justice est politiquement intéressé à l’affaire. Ce n’est que pour les affaires politiques qu’il faut créer un parquet spécial indépendant du pouvoir politique.
C’est Emmanuel macron qui avait demandé cette enquête. Dans quel but politique ?
L’affaire Fillon devenait délicate pour Emmanuel Macron, car si le pouvoir politique a interféré dans la mise en examen du candidat de la droite, l’actuel président de la République en a été le principal bénéficiaire. Se tourner vers le Conseil supérieur de la magistrature était commode : il avait l’air de s’en remettre à un organe neutre mais il ne prenait pas beaucoup de risque car il aurait été très étonnant que le CSM sorte de sa prudence habituelle.
Toutefois, le CSM en a profité pour demander une réforme de la nomination des procureurs généraux et de procureurs qui aille au-delà de ce que souhaite le président de la République. Aujourd’hui, ces hauts parquetiers sont choisis par le ministre de la Justice et le CSM donne juste un avis. Le projet de réforme prévoit que le président de la République ne pourra pas nommer une personne contre l’avis du CSM. Cela ne changera rien puisque c’est déjà la pratique depuis dix ans. Ce que réclame le CSM c’est que ce soit lui qui choisisse les procureurs généraux et les procureurs. Là, il y aurait un vrai changement. Le pouvoir de nomination reviendrait au CSM, c’est à dire en grande part aux magistrats. C’est le cadeau empoisonné que fait le CSM à Emmanuel Macron.
Récemment, l’Inspection générale de la justice a dédouané le PNF dans l’affaire des écoutes concernant Nicolas Sarkozy. Hier, c’est donc le CSM qui ménage ce même PNF. Quel est le degré de corporatisme dans ces prises de décisions ?
Il y a du corporatisme chez les avocats ou les journalistes, pourquoi n’y en aurait-il pas chez les magistrats ? A chaque fois qu’ils sont interrogés, la réponse est la même :
aucun magistrat n’a commis d’erreur, il faut juste des réformes pour donner plus de pouvoir et de moyens aux magistrats.
Notons toutefois que dans le rapport de l’Inspection générale de la justice, il y a également en filigrane des interrogations sur la raison pour laquelle le PNF a mené une enquête parallèle à l’information menée par des juges d’instruction. Tout le monde connait la réponse : les juges d’instruction n’auraient pas accepté d’espionner des avocats comme le PNF l’a fait, et cette enquête devait rester secrète.
Etes-vous plus optimiste au sujet des conclusions de la commission d’enquête parlementaire sur l’indépendance de la justice qui devraient tomber bientôt ?
Malheureusement, il semble que la commission d’enquête parlementaire n’a pas compris les vrais enjeux. Elle a entendu des gens haut placés qui, à part Eliane Houlette, lui ont tenu la langue de bois. Elle ne fera donc pas l’analyse de la problématique de l’indépendance du parquet : indépendance de quels magistrats précisément, avec quelle légitimité pour déterminer une politique pénale, et quelle responsabilité.
Le traitement politique des affaires politiques a encore des beaux jours devant lui.
Propos recueillis par Tugdual Denis pour Le Club de Valeurs actuelles.
Le corporatisme des magistrats est avéré ! Et les observateurs impartiaux avaient noté l’exceptionnel activisme du Parquet National Financier dans l’affaire Fillon. La forfaiture avait commencé par l’auto saisine du PNF dans cette affaire alors qu’il est censé ne s’occuper que des « affaires financières complexes.» Qu’y avait-il de complexe dans l’emploi fictif présumé de Pénélope Fillon ? Absolument rien ! Et pourtant la Cour de cassation n’a rien trouvé à redire à cette auto saisine !
La gauche nous jette sans cesse au visage les Valeurs de la République ! Mais que reste t-il de la République et de la démocratie quand des magistrats, tous nommés par un président socialiste, ruine successivement, et de façon évidente, les chances de deux candidats de droite d’accéder à l’Elysée ?
Il ne reste que des mots …
J’ai une proposition « disruptive » comme on dit aujourd’hui, à faire.
Pendant les enquêtes de police judiciaire, les policiers sont sous l’autorité directe et absolue du parquet. Je propose qu’en cas d’enquête dans la police ou dans la justice, on croise les rôles. Le Conseil Supérieur de la Magistrature pourrait enquêter sur la police mais en retour un Conseil Supérieur de la Police pourrait faire de même sur la justice.
Efficacité garantie !
PS : j’avais déjà consacré un article à Hervé Lehman :
Toute la lumière sur le Parquet National Politique
avec l’illustration suivante :
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